dimanche 25 mars 2012

Les communiqués de l’AFP et de l’APM sur le Protelos de Servier : des choix de rédaction bien étranges.


Les communiqués de l’AFP et de l’APM sur le Protelos de Servier : des choix de rédaction bien étranges.

L’affaire du Mediator est décidément riche d’enseignement ; nous nous étions fixé pour objectif le traitement comparatif des affaires (DSK, Bettencourt, Karachi ….) mais celles-ci ne génèrent plus un volume de contenu suffisant pour permettre des comparaisons pertinentes ; la campagne présidentielle emplit l’espace médiatique et sature les réseaux sociaux, le drame de Toulouse et de Montauban a seul pu mobiliser les médias et ouvrir une brèche en provoquant une suspension de la campagne. Seul, pas tout à fait ! L’affaire Servier demeure la seule affaire qui mobilise avec une constance remarquable le Web et les médias. Certes, l’imminence du premier procès, juste après l’élection, l’ampleur du scandale et ses profondes répercussions sur le système de Santé, expliquent pour partie la mobilisation observée, mais d’autres éléments semblent manifestement être à l’œuvre.
Le traitement de cette affaire par les médias est à lui seul révélateur du jeu des acteurs, qu’il soit transparent ou masqué. Nous avons donc choisi de lui consacrer encore quelques papiers.
En l’espèce, le dernier rebondissement de cette affaire concerne le Protelos, un autre médicament commercialisé par Servier (pour les problèmes d’ostéoporose). Dans le climat de suspicion généralisée entourant les pratiques des Laboratoires Servier, ce dernier a fait l’objet d’une attaque en règle de la part des pouvoirs publics.
Les derniers rebondissements de l’affaire du Protelos illustrent parfaitement les questions que pose la restitution des faits par les médias, et au-delà, interroge le statut de la vérité journalistique.
Sauf à être un acteur particulièrement informé du sujet, ou comme nous-mêmes (et sans doute quelques autres !) à disposer d’un outil performant d’analyse sémantique (encore en cours de conception, je vous l’accorde), la compréhension des enjeux qui traverse certains messages est nécessairement tronquée, voire biaisée.
Les rapprochements thématiques effectués par notre logiciel sur les articles concernant le Protelos de Servier, ces 10 derniers jours, faisaient apparaître un écart singulier entre le communiqué de l’Agence Européenne du Médicament (EMA) et les communiqués de l’AFP et de l’APM qui en rendaient compte et qui ont ensuite été massivement repris par les médias et sur les réseaux sociaux.

Une traduction fidèle mais « orientée »

Le communiqué de l’EMA rend ses conclusions sur le rapport bénéfice / risque du Protelos dont il était chargé de la réévaluation. Selon les termes du titre du communiqué, il confirme un rapport bénéfice / risque positif, mais recommande de nouvelles contre indications :
« L’EMA (Agence Européenne des Médicaments) confirme le rapport Bénéfice / Risque positif du Protelos / Osseor, mais recommande de nouvelles contre-indications et une révision des avertissements de prescription. »
Curieusement, le communiqué de l’AFP titre « Nouvelles contre-indications pour le Protelos » et celui de l’APM « Le CMUH (comité des médicaments à usage humain de l’EMA) recommande une restriction des indications de l’anti-ostéoporotique Protelos »

Si en soi, l’information est parfaitement exacte, il est par contre évident que ces titres sont particulièrement sélectifs et focalisent le message exclusivement sur le renforcement des contre-indications, en « omettant » de signaler l’information principale : la confirmation par l’EMA d’un rapport bénéfice / risque positif du Protelos.
Au-delà des titres, la hiérarchisation des informations dans les communiqués accentue encore la différence avec le communiqué original de l’EMA. Ainsi, l’AFP développe le sous-titre « L’agence européenne du médicament déconseille l’utilisation de cet anti-ostéoporose des laboratoires Servier aux personnes immobilisées ou souffrant de troubles thrombo-emboliques veineux »

Ces communiqués d’agence de presse ont bien sûr été largement rediffusés par les médias « mainstream » et sur les réseaux sociaux, avec une mise en exergue massive de cette information (les nouvelles contre-indications) au détriment de l’information initiale majeure, désormais secondarisée (l’évaluation positive du rapport bénéfice / risque du Protelos).

« D’un discours qui ne serait pas du semblant » : les raisons d’une réécriture du communiqué de l’EMA

Cette étrange interprétation du communiqué de l’EMA pose évidemment la question des raisons qui ont présidé à ce renversement de la hiérarchie des informations : mise en avant des contre-indications et minoration de l’évaluation positive du Protelos.
On pourrait raisonnablement penser que l’annonce de contre-indications renforcées a été jugée prioritaire, pour des raisons d’efficacité informative : alerte aux médecins et aux patients. C’est peu probable, puisque ces informations seront relayées officiellement par l’Afssaps.

Une autre hypothèse beaucoup plus crédible se dégage, mais aussi plus dérangeante, au regard des péripéties de l’affaire « Protelos » : la difficulté à reconnaître une décision qui contredit sur le fond, les positions prises officiellement par les autorités françaises, les « adversaires » déclarés de Servier et les médias : l’Afssaps, le Ministre de la Santé Xavier Bertrand, les socialistes Gérard Bapt, Jean-Marie Le Guen ….
En effet, la reconnaissance par l’EMA que « le Protelos demeure un traitement important de l’ostéoporose » ruine tout un pan de l’argumentation des parties adverses de Servier, qui s’étaient bien imprudemment risqués à affirmer que le scandale du Protelos préfigurait le scandale du Mediator.
On trouve paradoxalement la confirmation de cette hypothèse, dans un article d’Anne Jouan du Figaro, pourtant peu susceptible de sympathie pour Servier. Elle y décrit le projet des autorités politiques et de Santé de « Tuer le médicament ».


La reconnaissance par l’EMA que le Protelos est un médicament important dans le traitement de l’ostéoporose est donc un coup dur pour le Ministre et l’Afssaps qui avaient envoyé à tous les médecins une mise en garde pour le moins radicale, et on comprend que les communiqués essaient de passer sous silence les conséquences de cette décision.

C’est aussi un camouflet dont les conséquences sont désastreuses pour des adversaires radicaux de Servier, Gérard Bapt et Libération, dont un journaliste Yann Philippin et le directeur Nicolas Demorand, ont d’ailleurs été tous les 3 poursuivis pour diffamation suite à leurs articles sur le Protelos, dénonçant des méthodes « perverses » chez Servier et le fait que le laboratoire « avait bien érigé le mensonge et la manipulation en modèle économique ».


Les libellés des communiqués des agences de presse sont donc probablement orientés pour passer sous silence ces éléments très gênants pour un certain nombre de protagonistes de l’affaire, dont les médias. Il est d’ailleurs intéressant de relire les articles sur le Protelos des grands journaux comme Le Figaro, Libération, Le Monde, Le nouvel Observateur à l’aune de cette décision ….. La manipulation de l’information est évidente, et l’on ne peut que s’interroger sur les liens d’intérêt entre des acteurs si différents que Xavier Bertrand, Gérard Bapt, Libération, Le Figaro, l’AFP et l’APM.
En septembre 2011, Libération, s’appuyant sur un rapport de l’Afssaps, développe des articles particulièrement à charge sur Servier et les pratiques en vigueur dans ses laboratoires, allant même jusqu’à parler de « poisons » pour qualifier ses médicaments et de « système de dissimulation »



Le Monde, reprenant ces informations, suggère des similitudes avec l’affaire du Mediator et pointe l’imminence d’un nouveau scandale : « Comme pour le Mediator, Servier aurait falsifié des documents relatifs à un autre médicament, le Protelos, qui serait, là encore, plus dangereux que ce que le laboratoire laisse entendre » et signale 2 morts d’un « syndrome d’hypersensibilité médicamenteuse (syndrome DRESS) liées apparemment au Protelos.

Le Nouvel Observateur titre, quant à lui « Protelos, de nouveaux morts sur ordonnances » et rappelle, dans un article signé par Anne Crignon, les accusations de dissimulation révélées par Libération, l’alerte lancée par la revue Prescrire « 884 effets indésirables, dont 199 graves et la mort de 8 patients » pour conclure en citant un spécialiste de pharmaco vigilance, que « tous les médicaments (de Servier) étaient dangereux »

On n’aurait pas fini dans la citation de tous les articles ayant condamné Servier sur cette affaire du Protelos, en dehors de toute confirmation judiciaire et avec une véhémence qui confine à la malveillance pilotée plutôt qu’à la mission d’information.
Au-delà, c’est l’indépendance et l’objectivité des agences de presse et des journalistes qui posent à tout le moins question.

Le coup de pied de l’âne : Protelos serait le premier médicament efficace contre l’arthrose

Last but not Least, les derniers communiqués parus cette semaine sur le Protelos, font état d’une efficacité reconnue du médicament sur l’arthrose, présentés au second IOF-ESCEO Pre-clinical Symposium des 23 et 24 mars à Bordeaux.

Nul doute que cette communication gêne encore plus les adversaires de Servier qui tablaient sur une affaire confirmant la culpabilité de Servier sur l’ensemble de ses pratiques et nourrissant le dossier à charge dans l’affaire du Mediator. On remarquera que la plupart des articles parus sur ces nouvelles performances du médicament sont en anglais … les medias français peinent à relayer une information qui contredit par trop ce qu’ils ont pu écrire précédemment !

L’analyse des discours médiatiques : une nécessité démocratique

« Le diable se cache dans les détails » et ce cas de manipulation adroite de l’information, rend compte des subtilités de la manipulation de l’opinion, délibérée ou non, par un système médiatique qui, contrairement aux idées reçues, a une certaine mémoire, celle de ses erreurs ou plutôt de ses « petits arrangements entre amis » qu’elle s’emploie laborieusement à faire oublier. Les analyses de fond diachroniques et synchroniques sur le traitement médiatique d’une affaire, ont cette vertu (du moins nous l’espérons) de donner à l’opinion (nos lecteurs) une perspective critique et une mémoire, en regard « la société du spectacle » telle que la théorisait Debord ou Bourdieu et Baudrillard.
Elles rendent compte du peu de crédibilité de l’information médiatique, et du regard distancié et critique qu’il s’agit de porter sur les informations qu’elle délivre. Elles révèlent aussi les « confluences » d’intérêt pour le moins préoccupantes dans une démocratie, entre la presse et certains acteurs politiques et économiques. Elles interrogent sur le fond le statut de l’information et les mécanismes subtils d’une manipulation qui peut s’opérer sans nécessairement reposer sur des contre-vérités.
Apparemment la bataille contre Servier n’est pas gagnée et nous seront attentifs aux développements de cette passionnante affaire érigée en cas d’école de la propagande moderne. Un autre médicament des laboratoires Servier a été pareillement mis en accusation, le Vastarel, et nous attendons les décisions qui seront prises au niveau européen, manifestement plus objectif dans cette affaire que la France, et le traitement médiatique qui en sera fait, pour vous en informer.