Les communiqués de l’AFP et de l’APM
sur le Protelos de Servier : des choix de rédaction bien étranges.
L’affaire du Mediator est décidément riche
d’enseignement ; nous nous étions fixé pour objectif le traitement
comparatif des affaires (DSK, Bettencourt, Karachi ….) mais celles-ci ne
génèrent plus un volume de contenu suffisant pour permettre des comparaisons
pertinentes ; la campagne présidentielle emplit l’espace médiatique et
sature les réseaux sociaux, le drame de Toulouse et de Montauban a seul pu
mobiliser les médias et ouvrir une brèche en provoquant une suspension de la
campagne. Seul, pas tout à fait ! L’affaire Servier demeure la seule
affaire qui mobilise avec une constance remarquable le Web et les médias.
Certes, l’imminence du premier procès, juste après l’élection, l’ampleur du
scandale et ses profondes répercussions sur le système de Santé, expliquent
pour partie la mobilisation observée, mais d’autres éléments semblent
manifestement être à l’œuvre.
Le traitement de cette affaire par les médias est à lui seul
révélateur du jeu des acteurs, qu’il soit transparent ou masqué. Nous avons
donc choisi de lui consacrer encore quelques papiers.
En l’espèce, le dernier rebondissement de cette affaire
concerne le Protelos, un autre médicament commercialisé par Servier (pour les
problèmes d’ostéoporose). Dans le climat de suspicion généralisée entourant les
pratiques des Laboratoires Servier, ce dernier a fait l’objet d’une attaque en
règle de la part des pouvoirs publics.
Les derniers rebondissements de l’affaire du Protelos
illustrent parfaitement les questions que pose la restitution des faits par les
médias, et au-delà, interroge le statut de la vérité journalistique.
Sauf à être un acteur particulièrement informé du sujet, ou
comme nous-mêmes (et sans doute quelques autres !) à disposer d’un outil
performant d’analyse sémantique (encore en cours de conception, je vous l’accorde),
la compréhension des enjeux qui traverse certains messages est nécessairement
tronquée, voire biaisée.
Les rapprochements thématiques effectués par notre logiciel
sur les articles concernant le Protelos de Servier, ces 10 derniers jours,
faisaient apparaître un écart singulier entre le communiqué de l’Agence
Européenne du Médicament (EMA) et les communiqués de l’AFP et de l’APM qui en
rendaient compte et qui ont ensuite été massivement repris par les médias et
sur les réseaux sociaux.
Une traduction fidèle
mais « orientée »
Le communiqué de l’EMA rend ses conclusions sur le rapport
bénéfice / risque du Protelos dont il était chargé de la réévaluation. Selon
les termes du titre du communiqué, il confirme un rapport bénéfice / risque
positif, mais recommande de nouvelles contre indications :
« L’EMA (Agence
Européenne des Médicaments) confirme le rapport Bénéfice / Risque positif du
Protelos / Osseor, mais recommande de nouvelles contre-indications et une
révision des avertissements de prescription. »
Curieusement, le communiqué de l’AFP titre « Nouvelles
contre-indications pour le Protelos » et celui de l’APM « Le CMUH (comité des médicaments à
usage humain de l’EMA) recommande une
restriction des indications de l’anti-ostéoporotique Protelos »
Si en soi, l’information est parfaitement exacte, il est par
contre évident que ces titres sont particulièrement sélectifs et focalisent le
message exclusivement sur le renforcement des contre-indications, en
« omettant » de signaler l’information principale : la
confirmation par l’EMA d’un rapport bénéfice / risque positif du Protelos.
Au-delà des titres, la hiérarchisation des informations dans
les communiqués accentue encore la différence avec le communiqué original de
l’EMA. Ainsi, l’AFP développe le sous-titre « L’agence
européenne du médicament déconseille l’utilisation de cet anti-ostéoporose des
laboratoires Servier aux personnes immobilisées ou souffrant de troubles
thrombo-emboliques veineux »
Ces communiqués d’agence de presse ont bien sûr été
largement rediffusés par les médias « mainstream » et sur les réseaux
sociaux, avec une mise en exergue massive de cette information (les nouvelles
contre-indications) au détriment de l’information initiale majeure, désormais
secondarisée (l’évaluation positive du rapport bénéfice / risque du Protelos).
« D’un discours
qui ne serait pas du semblant » : les raisons d’une réécriture du
communiqué de l’EMA
Cette étrange interprétation du communiqué de l’EMA pose
évidemment la question des raisons qui ont présidé à ce renversement de la
hiérarchie des informations : mise en avant des contre-indications et
minoration de l’évaluation positive du Protelos.
On pourrait raisonnablement penser que l’annonce de
contre-indications renforcées a été jugée prioritaire, pour des raisons
d’efficacité informative : alerte aux médecins et aux patients. C’est peu probable, puisque ces informations seront relayées
officiellement par l’Afssaps.
Une autre hypothèse beaucoup plus crédible se dégage, mais
aussi plus dérangeante, au regard des péripéties de l’affaire
« Protelos » : la difficulté à reconnaître une décision qui
contredit sur le fond, les positions prises officiellement par les autorités
françaises, les « adversaires » déclarés de Servier et les
médias : l’Afssaps, le Ministre de la Santé Xavier Bertrand, les
socialistes Gérard Bapt, Jean-Marie Le Guen ….
En effet, la reconnaissance par l’EMA que « le Protelos demeure un traitement
important de l’ostéoporose » ruine tout un pan de l’argumentation des
parties adverses de Servier, qui s’étaient bien imprudemment risqués à affirmer
que le scandale du Protelos préfigurait le scandale du Mediator.
On trouve paradoxalement la confirmation de cette hypothèse,
dans un article d’Anne Jouan du Figaro, pourtant peu susceptible de sympathie
pour Servier. Elle y décrit le projet des autorités politiques et de Santé de
« Tuer le médicament ».
La reconnaissance par l’EMA que le Protelos est un
médicament important dans le traitement de l’ostéoporose est donc un coup dur
pour le Ministre et l’Afssaps qui avaient envoyé à tous les médecins une mise en
garde pour le moins radicale, et on comprend que les communiqués essaient de
passer sous silence les conséquences de cette décision.
C’est aussi un camouflet dont les conséquences sont
désastreuses pour des adversaires radicaux de Servier, Gérard Bapt et
Libération, dont un journaliste Yann Philippin et le directeur Nicolas
Demorand, ont d’ailleurs été tous les 3 poursuivis pour diffamation suite à
leurs articles sur le Protelos, dénonçant des méthodes « perverses »
chez Servier et le fait que le laboratoire « avait
bien érigé le mensonge et la manipulation en modèle économique ».
Les libellés des communiqués des agences de presse sont donc
probablement orientés pour passer sous silence ces éléments très gênants pour
un certain nombre de protagonistes de l’affaire, dont les médias. Il est
d’ailleurs intéressant de relire les articles sur le Protelos des grands
journaux comme Le Figaro, Libération, Le Monde, Le nouvel Observateur à l’aune
de cette décision ….. La manipulation de l’information est évidente, et l’on ne
peut que s’interroger sur les liens d’intérêt entre des acteurs si différents
que Xavier Bertrand, Gérard Bapt, Libération, Le Figaro, l’AFP et l’APM.
En septembre 2011, Libération, s’appuyant sur un rapport de
l’Afssaps, développe des articles particulièrement à charge sur Servier et les
pratiques en vigueur dans ses laboratoires, allant même jusqu’à parler de
« poisons » pour qualifier ses médicaments et de « système de
dissimulation »
Le Monde, reprenant ces informations, suggère des similitudes
avec l’affaire du Mediator et pointe l’imminence d’un nouveau scandale : « Comme pour le Mediator, Servier
aurait falsifié des documents relatifs à un autre médicament, le Protelos, qui
serait, là encore, plus dangereux que ce que le laboratoire laisse
entendre » et signale 2 morts d’un « syndrome d’hypersensibilité
médicamenteuse (syndrome DRESS) liées apparemment au Protelos.
Le Nouvel Observateur titre, quant à lui « Protelos, de
nouveaux morts sur ordonnances » et rappelle, dans un article signé par
Anne Crignon, les accusations de dissimulation révélées par Libération,
l’alerte lancée par la revue Prescrire « 884 effets indésirables, dont 199
graves et la mort de 8 patients » pour conclure en citant un spécialiste
de pharmaco vigilance, que « tous les
médicaments (de Servier) étaient dangereux »
On n’aurait pas fini dans la citation de tous les articles
ayant condamné Servier sur cette affaire du Protelos, en dehors de toute
confirmation judiciaire et avec une véhémence qui confine à la malveillance
pilotée plutôt qu’à la mission d’information.
Au-delà, c’est l’indépendance et l’objectivité des agences
de presse et des journalistes qui posent à tout le moins question.
Le coup de pied de
l’âne : Protelos serait le premier médicament efficace contre l’arthrose
Last but not Least, les derniers communiqués parus cette
semaine sur le Protelos, font état d’une efficacité reconnue du médicament sur
l’arthrose, présentés au second IOF-ESCEO Pre-clinical Symposium des 23 et 24
mars à Bordeaux.
Nul doute que cette communication gêne encore plus les
adversaires de Servier qui tablaient sur une affaire confirmant la culpabilité de
Servier sur l’ensemble de ses pratiques et nourrissant le dossier à charge dans
l’affaire du Mediator. On remarquera que la plupart des articles parus sur ces
nouvelles performances du médicament sont en anglais … les medias français
peinent à relayer une information qui contredit par trop ce qu’ils ont pu
écrire précédemment !
L’analyse des
discours médiatiques : une nécessité démocratique
« Le diable se cache dans les détails » et ce cas
de manipulation adroite de l’information, rend compte des subtilités de la
manipulation de l’opinion, délibérée ou non, par un système médiatique qui,
contrairement aux idées reçues, a une certaine mémoire, celle de ses erreurs ou
plutôt de ses « petits arrangements entre amis » qu’elle s’emploie
laborieusement à faire oublier. Les analyses de fond diachroniques et synchroniques
sur le traitement médiatique d’une affaire, ont cette vertu (du moins nous
l’espérons) de donner à l’opinion (nos lecteurs) une perspective critique et
une mémoire, en regard « la société du spectacle » telle que la
théorisait Debord ou Bourdieu et Baudrillard.
Elles rendent compte du peu de crédibilité de l’information
médiatique, et du regard distancié et critique qu’il s’agit de porter sur les
informations qu’elle délivre. Elles révèlent aussi les
« confluences » d’intérêt pour le moins préoccupantes dans une
démocratie, entre la presse et certains acteurs politiques et économiques.
Elles interrogent sur le fond le statut de l’information et les mécanismes
subtils d’une manipulation qui peut s’opérer sans nécessairement reposer sur
des contre-vérités.
Apparemment la bataille contre Servier n’est pas gagnée et
nous seront attentifs aux développements de cette passionnante affaire érigée
en cas d’école de la propagande moderne. Un autre médicament des laboratoires
Servier a été pareillement mis en accusation, le Vastarel, et nous attendons
les décisions qui seront prises au niveau européen, manifestement plus objectif
dans cette affaire que la France, et le traitement médiatique qui en sera fait,
pour vous en informer.