Le procès de Servier pour « tromperie aggravée »
vient de s’ouvrir Lundi 14 Mai ; ce volet juridique qui procède d’une
citation directe, est controversé dans la mesure où une autre procédure est
instruite sur le fond au tribunal de Paris ; Les avocats de Servier ont
soulevé deux questions prioritaires de constitutionnalité, tandis que certaines
parties civiles craignent que la procédure de Nanterre, si elle avait une issue
défavorable aux parties civiles, n’ait un effet désastreux sur l’instruction
parisienne.
Néanmoins, c’est depuis le début de cette affaire, la
première réelle occasion pour les Laboratoires Servier, de se défendre face à
leurs opposants et de faire valoir leurs arguments, après une campagne politique
et médiatique particulièrement bien orchestrée. Il va donc être intéressant de
suivre cette confrontation et le traitement médiatique qui va l’accompagner.
Nous avions rendu compte, dans de précédents articles, d’un
certain nombre de manœuvres d’influence répertoriées sur l’année 2011, allant
de l’emploi de robots mangas pour relayer des messages en masse, à la rédaction
d’articles à charge « étonnamment » bien relayés dans les médias, en
passant par des stratégies de Community management sur les réseaux sociaux.
Sur le premier trimestre 2012, l’offensive « anti-Servier »
se poursuit, mais semble accuser une baisse d’intensité, naturellement
commandée par le contexte de l’élection présidentielle (dont nous nous
attachons d’ailleurs à constituer un corpus indépendant afin de tester nos
modèles d’analyse sur le champ politique). Cependant, il semble également que
les « adversaires » des Laboratoires Servier se trouvent confrontés,
pour la première fois, à des réactions de contradicteurs sur le Web (en
particulier sur Twitter).
L’émergence d’une
timide opposition au discours dominant sur l’affaire Mediator.
Si les contenus et la tonalité des articles des grands
médias ne varient pas et demeurent unanimement hostiles (avec une proximité
formelle des textes entre les différents medias qui interroge d’ailleurs fortement
la différenciation des titres entre eux, et la logique de production des
contenus d’information), les contenus des commentaires, blogs et forums sont
moins monolithiques et font état de débats et d’affrontements sur les
différents volets de l’affaire.
Ils témoignent de la dimension politique sensible du « scandale
sanitaire » qui est notamment véritablement instrumentalisé par les partis
de gauche (du PS au front de gauche) durant la campagne. Ils révèlent également
le début d’une remise en question des contenus postés par les medias Mainstream,
soit qu’ils soient trop monolithiques et trop ouvertement hostiles sans
distance ni analyse critique dans leurs prises de position, soit qu’ils fassent
des « erreurs » et propagent des rumeurs et des informations sujettes
à caution.
Parmi ces critiques émergentes dénonçant une opération de « propagande »
et de manipulation médiatique, on peut identifier un certain nombre d’acteurs :
-
Des Salariés de Servier, qui s’affrontent sur
Twitter avec leurs moyens limités mais parfois efficaces, à des détracteurs de
leur entreprise, dont une partie est manifestement constituée de Community
Managers agissant sur commande et une autre, de personnalités mettant leur
influence au service d’intérêts économiques (des laboratoires concurrents de
Servier) et/ou politiques (plutôt dans la mouvance du PS).
-
Des militants politiques, marquant l’utilisation
de l’affaire Mediator dans la campagne présidentielle.
-
Des profils « citoyens » moins
aisément identifiables et relativement hétérogènes, qui interrogent dans blogs,
forums et commentaires, les partis-pris des medias sur l’affaire, et pointent
leur constance et leur unanimité troublantes malgré des péripéties et de
nouvelles informations qui contredisent pour le moins les « thèses officielles »
construites au cours des derniers mois.
-
Des professionnels de Santé, relativement rares
à prendre la parole sur une affaire qui les concernent pourtant directement (question
de l’engagement de leur responsabilité sur les prescriptions hors AMM du
Mediator, conduite de la réforme du médicament, faillite de l’Afssaps …).
Pour autant, si ces positions critiques sont relativement
nouvelles, force est de constater qu’elles ne se développent que sur les medias
sociaux, et n’ont qu’un poids médiatique extrêmement faible.
Un système d’influence
puissant au service de la « propagande » anti-Servier.
Ce constat met en exergue la puissance d’un dispositif d’influence
anti-Servier qui associe Community Management, relais d’influence et contrôle
des medias Mainstream sur le Web. Il constitue également un indice fort d’existence
soit d’une stratégie coordonnée, soit d’une convergence entre des intérêts différents
mais complémentaires. En effet, les différents développements de l’affaire Mediator
au cours du temps (sur le plan juridique, politique, économique, sociétal, médical
…) révélant des points et des positions contradictoires, auraient dû
logiquement introduire les termes d’un débat critique, des positions discursives
différenciées repérable dans notre corpus ; or on ne peut que constater la
permanence et le caractère indifférencié des contenus et de leur tonalité (sinon
le plus souvent la parfaite identité textuelle des articles postés, quasiment
dupliqués à l’identique sur tous les supports). L’absence de point de vue
critique et la trop parfaite homogénéité des contenus informatifs est un indice
intéressant de l’existence d’une stratégie d’influence.
Une autre hypothèse pouvant expliquer ce phénomène, serait
relative au mode de production des contenus d’information par les medias
Mainstream, qui relèverait désormais d’une simple rediffusion des dépêches des
agences de presse et d’une pratique généralisée de la « copie » à
peine remaniée des articles des confrères. La proximité formelle systématique
entre les articles de différents titres de presse sur l’affaire Mediator (et
sur d’autres sujets), interroge en effet les conditions de production
médiatiques qui semblent pour la plupart relever d’une logique de réécriture et
de reproduction inflationniste d’un contenu original qui ne représente au mieux
que 5 à 10% du volume total des contenus postés sur le Web. Le phénomène est
sans aucun doute bien réel et questionne clairement l’indépendance des médias,
l’organisation et les objectifs des rédactions, les conditions de travail et
les contraintes des journalistes …
L’analyse des
contenus postés sur le web révèle les stratégies développées par les
adversaires de Servier.
Néanmoins, ces pratiques ne sauraient expliquer à elles
seules, les partis-pris et les thématiques développées sur l’affaire Servier,
qui relèvent clairement de stratégies délibérées. Ainsi plusieurs « offensives »
ont été développées au premier trimestre 2012, dans la continuité des périodes
précédentes ; chacune constitue un volet efficace d’une politique globale
d’ostracisation et de « Containment » des Laboratoires Servier, dont
la cohérence est remarquable lorsqu’on en examine les contenus et la
chronologie ; différentes « opérations » se succèdent ou se
superposent :
-
L’amplification
artificielle : la publication des résultats de l’étude de Mahmoud
Zureik, épidémiologiste à l’INSERM qui avait déjà avancé un chiffre de 1000 à
2000 morts en 2010, dans une revue d’épidémiologie anglo-saxonne « Pharmacoepidemiology
and Drug Safety » est massivement relayée par la presse et présentée comme
une nouvelle étude confirmant les chiffres avancés précédemment. Or, il semble
qu’il s’agisse d’une republication de l’étude initiale dont les résultats
avaient été précédemment communiqués en France. Tous les medias et les CM sur
Twitter la présentent pourtant comme une nouvelle étude, et aucun article ne
semble interroger une possible tentative de crédibiliser des chiffres et une
méthodologie qui avaient été précédemment sérieusement remis en question par des
cardiologues experts des valvulopathies.
-
L’insinuation :
la perquisition à l’Afssaps et au domicile de plusieurs de ses cadres menée sur
commission rogatoire est dramatisée par les medias et présentée d’une manière
qui fait « soupçonner l’existence avérée de manœuvres de corruption »
au profit de Servier. La massivité des publications n’est évidemment pas
neutre.
-
La divulgation
d’informations erronées : La « perquisition » au siège de
Servier, qui s’avèrera n’être qu’un transport de Justice, et le « placement
en garde à vue » de salariés, dans le cadre d’un enquête pour destruction
de preuves, qui s’avèrera n’être qu’une simple audition de témoins, ont été
très massivement relayés par les medias Mainstream et sur les réseaux sociaux ;
malgré une « erreur » manifeste sur la qualification des évènements,
les démentis et les corrections ont été forts rares ... Dans ce cadre, on peut
légitimement soupçonner que cette présentation des faits reposait sur une
intention délibérée de nuire et/ou de dramatiser la situation. Cette opération
illustre parfaitement le principe qui guide une partie des actions des
détracteurs de Servier : « accusez, il en restera toujours quelque
chose » ; ce vieux principe retrouve une efficacité majeure sur le
web.
-
La
stigmatisation : la présentation d’un cas clinique d’atteinte des
valves cardiaques est l’occasion d’établir un parallèle entre le médicament
Mediator et la drogue Ecstasy. Le rapprochement est percutant, et terriblement
efficace en termes de communication. Il n’a évidemment pas de visée
informative, mais poursuit manifestement un objectif de stigmatisation du
Mediator et surtout des Laboratoires Servier.
-
La
manipulation de l’information : Le traitement d’une autre affaire
concernant un autre médicament de Servier, le Protelos, est également
significative de la priorité donnée à l’objectif d’ostracisation des
Laboratoires Servier sur l’information, fusse au prix de petits arrangements
avec la réalité des faits. L’agence européenne du médicament (EMA) qui avait
été saisie par l’Afssaps, a confirmé un rapport bénéfice / risque positif du
Protelos au grand dam de Xavier Bertrand et du directeur de l’Afssaps ;
elle a assorti son rapport d’un renforcement des précautions de prescription. Les
agences de presse AFP et APM et les medias mettent quasi exclusivement l’accent
sur les « nouvelles restrictions de prescription » et passent sous
silence le fond de l’affaire : le camouflé essuyé par les autorités
françaises au niveau européen dans leur volonté de faire interdire un certain
nombre des médicaments de Servier. Compte tenu des violentes campagnes
médiatiques orchestrées dans la presse et sur les réseaux sociaux contre le
Protelos à l’automne 2011, on comprend également qu’un certain nombre de
protagonistes aient été particulièrement gênés par la décision de l’EMA. La
situation de porte-à-faux était d’ailleurs d’autant plus intenable que, dans le
même temps, le Protelos se révélait être également le premier médicament réellement
efficace contre l’arthrose du genou.
Ces constats valident l’opérationnalité de notre méthode de
recueil, d’analyse et de traitement de très larges corpus médiatiques, dans la
maîtrise des stratégies discursives de nombreux acteurs impliqués sur un sujet.
Ils valident la possibilité de déceler à la fois l’organisation interne des
discours des émetteurs, mais aussi de leurs stratégies telle qu’elle se déploie
dans la durée. Cependant, plusieurs questions méthodologiques se posent encore,
notamment en ce qui concerne le traitement de corpus de textes très hétérogènes
recueillis sur le web (les tweets Versus articles de Presse Versus textes de
blogs Versus commentaires sur un forum …) ; le cas de l’affaire Mediator
est, en l’occurrence, une plateforme d’expérimentation idéale pour tester et
valider un certain nombre d’hypothèses et de méthodologies d’analyse, compte
tenu du volume et de la diversité des contenus textuels produits sur une
période suffisamment longue.