mardi 15 mai 2012

MEDIAS ET PROPAGANDE A TRAVERS LE CAS SERVIER


Le procès de Servier pour « tromperie aggravée » vient de s’ouvrir Lundi 14 Mai ; ce volet juridique qui procède d’une citation directe, est controversé dans la mesure où une autre procédure est instruite sur le fond au tribunal de Paris ; Les avocats de Servier ont soulevé deux questions prioritaires de constitutionnalité, tandis que certaines parties civiles craignent que la procédure de Nanterre, si elle avait une issue défavorable aux parties civiles, n’ait un effet désastreux sur l’instruction parisienne.

Néanmoins, c’est depuis le début de cette affaire, la première réelle occasion pour les Laboratoires Servier, de se défendre face à leurs opposants et de faire valoir leurs arguments, après une campagne politique et médiatique particulièrement bien orchestrée. Il va donc être intéressant de suivre cette confrontation et le traitement médiatique qui va l’accompagner.

Nous avions rendu compte, dans de précédents articles, d’un certain nombre de manœuvres d’influence répertoriées sur l’année 2011, allant de l’emploi de robots mangas pour relayer des messages en masse, à la rédaction d’articles à charge « étonnamment » bien relayés dans les médias, en passant par des stratégies de Community management sur les réseaux sociaux.

Sur le premier trimestre 2012, l’offensive « anti-Servier » se poursuit, mais semble accuser une baisse d’intensité, naturellement commandée par le contexte de l’élection présidentielle (dont nous nous attachons d’ailleurs à constituer un corpus indépendant afin de tester nos modèles d’analyse sur le champ politique). Cependant, il semble également que les « adversaires » des Laboratoires Servier se trouvent confrontés, pour la première fois, à des réactions de contradicteurs sur le Web (en particulier sur Twitter).


L’émergence d’une timide opposition au discours dominant sur l’affaire Mediator.

Si les contenus et la tonalité des articles des grands médias ne varient pas et demeurent unanimement hostiles (avec une proximité formelle des textes entre les différents medias qui interroge d’ailleurs fortement la différenciation des titres entre eux, et la logique de production des contenus d’information), les contenus des commentaires, blogs et forums sont moins monolithiques et font état de débats et d’affrontements sur les différents volets de l’affaire.

Ils témoignent de la dimension politique sensible du « scandale sanitaire » qui est notamment véritablement instrumentalisé par les partis de gauche (du PS au front de gauche) durant la campagne. Ils révèlent également le début d’une remise en question des contenus postés par les medias Mainstream, soit qu’ils soient trop monolithiques et trop ouvertement hostiles sans distance ni analyse critique dans leurs prises de position, soit qu’ils fassent des « erreurs » et propagent des rumeurs et des informations sujettes à caution.

Parmi ces critiques émergentes dénonçant une opération de « propagande » et de manipulation médiatique, on peut identifier un certain nombre d’acteurs :

-          Des Salariés de Servier, qui s’affrontent sur Twitter avec leurs moyens limités mais parfois efficaces, à des détracteurs de leur entreprise, dont une partie est manifestement constituée de Community Managers agissant sur commande et une autre, de personnalités mettant leur influence au service d’intérêts économiques (des laboratoires concurrents de Servier) et/ou politiques (plutôt dans la mouvance du PS).

-          Des militants politiques, marquant l’utilisation de l’affaire Mediator dans la campagne présidentielle.

-          Des profils « citoyens » moins aisément identifiables et relativement hétérogènes, qui interrogent dans blogs, forums et commentaires, les partis-pris des medias sur l’affaire, et pointent leur constance et leur unanimité troublantes malgré des péripéties et de nouvelles informations qui contredisent pour le moins les « thèses officielles » construites au cours des derniers mois.

-          Des professionnels de Santé, relativement rares à prendre la parole sur une affaire qui les concernent pourtant directement (question de l’engagement de leur responsabilité sur les prescriptions hors AMM du Mediator, conduite de la réforme du médicament, faillite de l’Afssaps …).

Pour autant, si ces positions critiques sont relativement nouvelles, force est de constater qu’elles ne se développent que sur les medias sociaux, et n’ont qu’un poids médiatique extrêmement faible.



Un système d’influence puissant au service de la « propagande » anti-Servier.

Ce constat met en exergue la puissance d’un dispositif d’influence anti-Servier qui associe Community Management, relais d’influence et contrôle des medias Mainstream sur le Web. Il constitue également un indice fort d’existence soit d’une stratégie coordonnée, soit d’une convergence entre des intérêts différents mais complémentaires. En effet, les différents développements de l’affaire Mediator au cours du temps (sur le plan juridique, politique, économique, sociétal, médical …) révélant des points et des positions contradictoires, auraient dû logiquement introduire les termes d’un débat critique, des positions discursives différenciées repérable dans notre corpus ; or on ne peut que constater la permanence et le caractère indifférencié des contenus et de leur tonalité (sinon le plus souvent la parfaite identité textuelle des articles postés, quasiment dupliqués à l’identique sur tous les supports). L’absence de point de vue critique et la trop parfaite homogénéité des contenus informatifs est un indice intéressant de l’existence d’une stratégie d’influence.

Une autre hypothèse pouvant expliquer ce phénomène, serait relative au mode de production des contenus d’information par les medias Mainstream, qui relèverait désormais d’une simple rediffusion des dépêches des agences de presse et d’une pratique généralisée de la « copie » à peine remaniée des articles des confrères. La proximité formelle systématique entre les articles de différents titres de presse sur l’affaire Mediator (et sur d’autres sujets), interroge en effet les conditions de production médiatiques qui semblent pour la plupart relever d’une logique de réécriture et de reproduction inflationniste d’un contenu original qui ne représente au mieux que 5 à 10% du volume total des contenus postés sur le Web. Le phénomène est sans aucun doute bien réel et questionne clairement l’indépendance des médias, l’organisation et les objectifs des rédactions, les conditions de travail et les contraintes des journalistes …



L’analyse des contenus postés sur le web révèle les stratégies développées par les adversaires de Servier.

Néanmoins, ces pratiques ne sauraient expliquer à elles seules, les partis-pris et les thématiques développées sur l’affaire Servier, qui relèvent clairement de stratégies délibérées. Ainsi plusieurs « offensives » ont été développées au premier trimestre 2012, dans la continuité des périodes précédentes ; chacune constitue un volet efficace d’une politique globale d’ostracisation et de « Containment » des Laboratoires Servier, dont la cohérence est remarquable lorsqu’on en examine les contenus et la chronologie ; différentes « opérations » se succèdent ou se superposent :

-          L’amplification artificielle : la publication des résultats de l’étude de Mahmoud Zureik, épidémiologiste à l’INSERM qui avait déjà avancé un chiffre de 1000 à 2000 morts en 2010, dans une revue d’épidémiologie anglo-saxonne « Pharmacoepidemiology and Drug Safety » est massivement relayée par la presse et présentée comme une nouvelle étude confirmant les chiffres avancés précédemment. Or, il semble qu’il s’agisse d’une republication de l’étude initiale dont les résultats avaient été précédemment communiqués en France. Tous les medias et les CM sur Twitter la présentent pourtant comme une nouvelle étude, et aucun article ne semble interroger une possible tentative de crédibiliser des chiffres et une méthodologie qui avaient été précédemment sérieusement remis en question par des cardiologues experts des valvulopathies.

-          L’insinuation : la perquisition à l’Afssaps et au domicile de plusieurs de ses cadres menée sur commission rogatoire est dramatisée par les medias et présentée d’une manière qui fait « soupçonner l’existence avérée de manœuvres de corruption » au profit de Servier. La massivité des publications n’est évidemment pas neutre.

-          La divulgation d’informations erronées  : La « perquisition » au siège de Servier, qui s’avèrera n’être qu’un transport de Justice, et le « placement en garde à vue » de salariés, dans le cadre d’un enquête pour destruction de preuves, qui s’avèrera n’être qu’une simple audition de témoins, ont été très massivement relayés par les medias Mainstream et sur les réseaux sociaux ; malgré une « erreur » manifeste sur la qualification des évènements, les démentis et les corrections ont été forts rares ... Dans ce cadre, on peut légitimement soupçonner que cette présentation des faits reposait sur une intention délibérée de nuire et/ou de dramatiser la situation. Cette opération illustre parfaitement le principe qui guide une partie des actions des détracteurs de Servier : « accusez, il en restera toujours quelque chose » ; ce vieux principe retrouve une efficacité majeure sur le web.

-          La stigmatisation : la présentation d’un cas clinique d’atteinte des valves cardiaques est l’occasion d’établir un parallèle entre le médicament Mediator et la drogue Ecstasy. Le rapprochement est percutant, et terriblement efficace en termes de communication. Il n’a évidemment pas de visée informative, mais poursuit manifestement un objectif de stigmatisation du Mediator et surtout des Laboratoires Servier.

-          La manipulation de l’information : Le traitement d’une autre affaire concernant un autre médicament de Servier, le Protelos, est également significative de la priorité donnée à l’objectif d’ostracisation des Laboratoires Servier sur l’information, fusse au prix de petits arrangements avec la réalité des faits. L’agence européenne du médicament (EMA) qui avait été saisie par l’Afssaps, a confirmé un rapport bénéfice / risque positif du Protelos au grand dam de Xavier Bertrand et du directeur de l’Afssaps ; elle a assorti son rapport d’un renforcement des précautions de prescription. Les agences de presse AFP et APM et les medias mettent quasi exclusivement l’accent sur les « nouvelles restrictions de prescription » et passent sous silence le fond de l’affaire : le camouflé essuyé par les autorités françaises au niveau européen dans leur volonté de faire interdire un certain nombre des médicaments de Servier. Compte tenu des violentes campagnes médiatiques orchestrées dans la presse et sur les réseaux sociaux contre le Protelos à l’automne 2011, on comprend également qu’un certain nombre de protagonistes aient été particulièrement gênés par la décision de l’EMA. La situation de porte-à-faux était d’ailleurs d’autant plus intenable que, dans le même temps, le Protelos se révélait être également le premier médicament réellement efficace contre l’arthrose du genou.


Ces constats valident l’opérationnalité de notre méthode de recueil, d’analyse et de traitement de très larges corpus médiatiques, dans la maîtrise des stratégies discursives de nombreux acteurs impliqués sur un sujet. Ils valident la possibilité de déceler à la fois l’organisation interne des discours des émetteurs, mais aussi de leurs stratégies telle qu’elle se déploie dans la durée. Cependant, plusieurs questions méthodologiques se posent encore, notamment en ce qui concerne le traitement de corpus de textes très hétérogènes recueillis sur le web (les tweets Versus articles de Presse Versus textes de blogs Versus commentaires sur un forum …) ; le cas de l’affaire Mediator est, en l’occurrence, une plateforme d’expérimentation idéale pour tester et valider un certain nombre d’hypothèses et de méthodologies d’analyse, compte tenu du volume et de la diversité des contenus textuels produits sur une période suffisamment longue.

1 commentaire:

  1. Cette remarquable analyse semble confirmer plusieurs impressions déjà anciennes :

    - le PS avait intérêt à ce que sorte une affaire du type "sang contaminé" pour affaiblir le candidat UMP
    - un certain laboratoire étranger avait intérêt à un scandale qui permettrait de ne pas parler des dizaines de milliers d'infarctus attribués à son antidiabétique (retiré du marché)
    - l'a priori systématique de certains journalistes pourrait amener à s'interroger sur leurs éventuels conflits avec... leur poids !

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