vendredi 16 novembre 2012

Une stratégie de l’endiguement


Suite à la publication dans le Parisien, du faible nombre de dossiers retenus par l’ONIAM comme éligibles à une indemnisation, et aux doutes suscités sur l’ampleur de l’affaire Mediator, il est intéressant d’examiner les nombreuses réactions que cet évènement a suscité. Dans tous les scandales médiatisés sur une durée suffisamment longue (l’affaire DSK par exemple), on observe évidemment ce type de péripéties, de remise en question des certitudes élaborées au fil du temps, à l’occasion d’un évènement particulier. Par contre, il est assez rare de voir aussi clairement une stratégie coordonnée destinée à contenir le doute et à en discréditer les sources supposées.
En effet, c’est une véritable stratégie d’endiguement (ou « Containment » en anglais) que mettent en place les antagonistes des Laboratoires Servier, pour tenter de limiter les effets d’informations qui semblent avoir fragilisé les positions des adversaires du Laboratoire.
Le spectre des réactions est très large et met en évidence l’inquiétude sinon le vent de panique qui saisit acteurs politiques et médias engagés. Deux registres sont particulièrement investis :

-          Un registre de l’émotion qui oscille de l’expression de la déception et de la compassion pour les parties civiles à l’indignation sinon à la colère contre le fonctionnement d’un système d’expertise pourtant mis en place par le Ministère de la Santé et qui ne rend pas les résultats escomptés. C’est naturellement un registre investi dans un premier temps par les personnalités les plus engagées en premières lignes dans la bataille contre le Laboratoire et les plus médiatiques.

-          Un registre de précaution qui repose sur l’adoption d’une posture prudente et en retrait par rapport aux affirmations péremptoires antérieures ; elle est surtout le fait des medias, dont une grande partie a revu à la baisse l’estimation du nombre de morts qu’aurait provoqué le Mediator ; curieusement, n’est plus publiée dans les articles que l’estimation la plus basse de 500 morts potentiels tandis que l’estimation haute de 2000 morts potentiels n’est plus évoquée.

Une contre-offensive rapide et violente
Immédiatement après la parution de l’article concernant le faible nombre de dossiers retenus par l’ONIAM, une contre-offensive s’est mise en place, consistant à remettre en question soit le fonctionnement du dispositif d’expertise, soit l’indépendance des experts désignés, ou à suggérer carrément l’existence de manœuvres de manipulation de la part des Laboratoires Servier qui « feraient pression sur les experts ».

A ce titre, les réactions d’Irène Frachon ont été particulièrement violentes, et donnent la mesure des enjeux de la publication de ces premiers chiffres : elle dénonce une pression de Servier sur les experts, et remet en cause l’indépendance du collège d’experts.
Elle ira jusqu’à accuser les experts « de lâcheté » et « d’incompétence »
« Ce n'est pas une question d'honnêteté, c'est une question de lâcheté : la plupart des experts ont peur de perdre face à Servier, ils préfèrent sacrifier l'intérêt des patients »
«  (Les experts) ont du mal à raisonner de façon parfaitement scientifique face à de nombreuses pressions et inquiétudes qui parasitent leur raisonnement ».

Dominique Courtois, président de l'Association d'aide aux victimes du Mediator (Avim), émet quant à lui, une hypothèse budgétaire et de prudence juridique de l’état : le faible nombre de dossiers retenus serait dû à une extrême prudence des pouvoirs publics inquiets de devoir assumer l’indemnisation si les dossiers n’étaient pas assez solides.

Le précédent ministre de la santé, Xavier Bertrand, se manifestera également très vite, pour indiquer sur RTL que le fonds d’indemnisation des victimes du Mediator « n’a pas été mis en place pour devenir une machine qui dit non » et « que le doute doit bénéficier au patient ». L’effet d’annonce et la formule de communiquant, qui lui donnent d’ailleurs l’occasion d’une interpellation assez sèche de l’actuelle ministre socialiste de la Santé, rendent compte d’une simplicité illusoire du dossier, qui ne relèverait que de la décision politique, de la volonté et de la parole d’un ministre. C’est évidemment une position simpliste, qui fait fi des règles juridiques et techniques d’imputabilité, mais qui présente surtout l’intérêt d’être efficace médiatiquement, et de détourner l’attention du véritable sujet : les causes réelles du faible nombre de dossiers retenus par l’ONIAM.

Marisol Touraine : une ministre sous influence
La Ministre de la Santé Marisol Touraine a dabord fait montre d’une extrême prudence en soulignant qu’elle était très attentive au dossier ; néanmoins, elle a vite été contrainte de prendre la parole, par les adversaires des Laboratoires Servier, qui ont su la placer dans une position très inconfortable :

Dès le 03 Octobre, Irène Frachon comme les représentants et les avocats des associations de victimes, ont pointé du doigt un durcissement des règles de sélection des dossiers d’indemnisation, par rapport aux « engagements » pris par le Ministre précédent, Xavier Bertrand.

Ainsi, la ministre doit-elle suggérer qu’il faut que « cette commission reprenne sa façon de travailler… ». « Le doute ne doit pas profiter aux laboratoires Servier », a-t-elle également déclaré après avoir réaffirmé qu'elle ne voulait pas de « victimes de l'indemnisation », se rapprochant dangereusement de la position excessive et périlleuse sur le plan juridique, technique et politique, de son prédécesseur, Xavier Bertrand.

Les médias tenus à bride serrée
Face à des chiffres qui sont très loin de la catastrophe sanitaire annoncée, certains journalistes ont fait état des doutes sérieux qu’ils introduisaient sur l’ampleur du scandale, mais surtout, sur l’écho médiatique peut-être surdimensionné qui lui avait été donné ; l’expression de ces doutes conduisant naturellement à des questions potentiellement gênantes sur les raisons d’un tel déchainement médiatique : « Mediator : un scandale sur-évalué ? », « L’affaire du Mediator risque de faire pschitt », « L’affaire du Meidator semble se dégonfler », Mediator … beaucoup de bruit pour rien » …

Le discours médiatique dans le traitement de l’affaire Servier, qui jusque-là, avait été plutôt monolithique et systématiquement à charge, présentait le risque d’une dérive sur des registres plus distanciés et analytiques : un risque majeur pour les adversaires de Servier qui ont rapidement mis en œuvre des contre-mesures :
-          Des exposés didactiques expliquant in fine, que ces chiffres soit n’étaient pas significatifs, soit relevaient d’une procédure inefficace et inadaptée.
-          Une saturation des medias par des interviews des principales figures de l’opposition au Laboratoire, dont le ton, la virulence, et les formules « chocs » garantissaient un large echos.
-          Enfin, et à l’extrême, une remise au pas en bonne et due forme des journalistes qui s’étaient le plus écarté du discours dominant, les obligeant à faire amende honorable et à la publier.

Ainsi, le traitement médiatique de l’affaire au mois d’Octobre / Novembre, laisse entrevoir le déploiement magistral d’une véritable stratégie d’endiguement des informations contrariantes pour l’une des parties, et témoigne clairement que les batailles se jouent d’abord dans l’arène médiatique, avant même de se jouer devant des experts scientifiques ou des tribunaux. L’affaire du Mediator en est un cas princeps.

 

mardi 6 novembre 2012

MEDIATOR : Du Storytelling au Panurgisme médiatique


Décidément, l’affaire Mediator est riche en rebondissements et tient ses promesses de devenir un cas d’école pour l’étude des guerres médiatiques qui se livrent pour la conquête de l’opinion.

Les récents développements de l’affaire du Mediator ébranlent les convictions les plus assurées et mettent en porte-à-faux les prises de position pour le moins radicales d’un certains nombres de personnalités politiques (Ministres de la Santé, agences d’état …) et des médias.
« Plus de 85 % des dossiers de victimes présumées du Mediator sont jugés irrecevables par les experts du ministère de la Santé » a révélé Le Parisien.

A ce jour, seulement 20 dossiers d’indemnisation ont fait l’objet d’un avis positif de la part du collège d’experts de l’ONIAM (Office national d'indemnisation des accidents médicaux) mandaté par le Ministère de la Santé, tandis que 555, c’est-à-dire l’immense majorité des dossiers pour l’instant examinés, ont été rejetés pour « absence de liens de causalité prouvés » entre les pathologies signalées et la prise de Mediator. En outre, dans les quelques cas où le lien de causalité a été reconnu, l’incapacité retenue est très faible, entre 5 et 10%.

Ces premiers résultats sont très loin de la catastrophe sanitaire annoncée, et jettent un doute sur la réalité de l’affaire et la crédibilité des chiffres avancés au départ (500 à 2000 morts) ; ils posent aussi à terme, la question de la légitimité des poursuites engagées contre Les Laboratoires Servier et des véritables raisons qui les ont motivées.

Face à une situation qui remet en question les prises de parole d’une multitude d’intervenants et qui fragilise leur position « d’accusateurs publics », les réactions ne se sont pas faîtes attendre ; leur examen est riche d’enseignement sur les stratégies médiatiques développées par ces différents acteurs.


Une affaire qui se dégonfle ?

Le faible nombre de dossiers retenus par l’ONIAM met en péril la base même d’une argumentation développée pendant 2 ans dans tous les médias, et considérée comme valide. Le Mediator aurait provoqué de 500 à 2000 morts. Cette argumentation reposait notamment sur les résultats d’études épidémiologiques ayant, à l’époque, largement alimenté le dossier de l’accusation, et dont les projections chiffrées ont été reprises systématiquement par les médias, lors des quelques centaines d’articles édités sur le sujet.

Parallèlement, les objections exprimées sur la validité de la méthode et la crédibilité des chiffres avancés avaient été proprement enterrées par les médias. Or depuis l’annonce du nombre de dossiers retenus par l’ONIAM, on observe dans les articles de presse, une prudente révision à la baisse, du nombre de victimes supposées sur 30 ans (même si il demeure important).

Cette remise en question des chiffres présente un risque majeur pour l’ensemble des acteurs impliqués :
-          Les extrapolations chiffrées du nombre de morts avancées par les épidémiologistes Catherine Hill et Mahmoud Zureik sont sérieusement questionnées.
-          La dramatisation continue et générale de l’affaire par les médias apparaît excessive.
-          Les prises de parole et les décisions de l’ancien Ministre de la Santé, Xavier Bertrand, et de l’ex-Afssaps sont réinterrogées, de même que celles de Gérard Bapt, le président de la Mission d’Information Parlementaire sur le Mediator.
-          Le contenu du rapport de l’IGAS, co-rédigé par Aquilino Morelle, actuelle plume de François Hollande, suscite pour le moins quelques réserves.

La dimension de « scandale sanitaire sans précédent » tend à être invalidée par le faible nombre de dossiers retenus par la commission d’experts indépendante de l’ONIAM, qui apparaît sans rapport avec les projections antérieures (même s’il reste des milliers de dossiers à examiner).

Au-delà des chiffres, c’est l’ensemble du traitement de l’affaire du Mediator dans les médias et les stratégies des différents intervenants qui sont remis en question : une partie de l’affaire semblent en effet relever d’une véritable construction et des techniques manipulatoires du storytelling de façonnage de l’opinion.

Le « panurgisme médiatique », abolissant tout esprit critique et transformant les journalistes en techniciens du copier / coller, construit un terrain plus que propice au développement de ces techniques de marketing et de communication ; l’affaire du Mediator en est un exemple flagrant, comme l’affaire, plus récente de l’étude sur les OGM du Professeur Séralini.

La question de la manipulation de l’opinion, et au premier chef, des medias, est clairement posée : « Mediator : un scandale sur-évalué ? »