vendredi 13 juillet 2012

La rigueur ne se paie pas de mot : de la rhétorique de la crise à la crise de la rhétorique


Le front des grandes affaires politico-médiatiques (DSK, Mediator …) marque le pas. A la suite de l’élection présidentielle et des législatives, la production des discours médiatiques s’est largement réorientée sur les options des politiques gouvernementales dans la gestion d’une crise structurelle qui menace l’économie française et son modèle social. Des débats télévisés aux tribunes et éditoriaux, c’est d’abord une bataille de mots qui se livre entre les protagonistes, révélatrice des enjeux politiques, sociaux et économiques des représentations telles qu’elles sont construites par les acteurs. Ce n’est pas tant la réalité de la situation économique et celle des finances publiques qui fait débat, que la manière de définir et de qualifier la politique mise en œuvre par le gouvernement.
A cet égard, ces dernières semaines, le débat public se cristallise autour d’un terme « Rigueur ».
A peine élu, le nouveau gouvernement socialiste s’emploie-t-il à réfuter qu’il ait choisi ou qu’il soit contraint à conduire une politique de « rigueur », tandis que l’opposition de droite, sinon ses « alliés » du Front de gauche, s’évertuent-ils à le démontrer.
Ainsi, le premier ministre Jean-Marc Ayrault, comme la majeure partie de son gouvernement, s’est défendu avec véhémence, de conduire une politique marquant un tournant vers la rigueur » et la conduite ou la programmation d’une politique d’austérité :
Le 3 Juillet, dans son discours de politique générale devant l’Assemblée, il déclare « Je revendique le sérieux et la responsabilité budgétaire … mais je refuse l’austérité ».
Le 4 Juillet, le premier ministre insiste « Austérité non ! Rigueur non plus ! Mais des efforts et du sérieux » sur le plateau du 20 heures de TF1.

Une politique de rigueur qui ne veut pas dire son nom
Ce débat autour d’un mot, n’a rien de futile, et révèle des enjeux de représentation particulièrement sensibles et traumatiques pour la gauche.
Dans un entretien accordé à Challenges, le 5 Juillet, Pierre Moscovici, Ministre de l’Economie, des Finances et du Commerce Extérieur, reconnaît quant à lui, que le mot Rigueur n’est pas utilisé « car dans l’histoire de la gauche, ce mot est associé à un cycle historique … qui a donné le sentiment que la gauche s’était reniée ».
En effet, et c’est l’un des principaux enjeux de ce tabou sur le terme de « rigueur », il s’agit de mettre à distance tout rapprochement avec le « tournant de la rigueur » de 1983 qui marqua un virage radical de politique économique, l’échec du programme commun de la gauche, et de sa doctrine économique d’inspiration keynésienne de relance par la consommation au profit d’une doctrine d’inspiration libérale ; il annoncera les sévère défaite électorale des années suivantes. On comprend dès lors la répugnance envers le terme de « rigueur » mais il n’est pas sûr que son élimination du discours politique de la gauche, ne supprime également la réalité de sa mise en œuvre effective dans les politiques actuelles !
Les choix lexicaux et sémantiques du gouvernement poursuivent également d’autres objectifs :
-          Se démarquer des « plans de rigueur » affichés et assumés par le précédent gouvernement.
-          Tenter de faire exister une politique « d’effort » mais dans le « partage » et la « justice sociale » qui la distinguerait radicalement des politiques précédentes ; l’exercice rhétorique, à l’évidence, n’est pas facile.
-          Préserver l’image d’un pouvoir politique autonome par rapport à un contexte économique (mondialisation, poursuite de la crise, désindustrialisation massive, faible croissance …) et à une situation budgétaire (déficit abyssal, réduction sous contrainte de la dette publique, imposition d’une « règle d’or » européenne …) qui réduisent de manière drastique, les marges de manœuvre et les choix.
De fait, il s’agit bien de l’engagement dans une politique de rigueur qui s’annonce, s’appuyant sur une croissance de la pression fiscale parallèlement à une réduction importante des dépenses publiques. Le gouvernement et toute la gauche ne le reconnaisse pas, pour des raisons à la fois électoralistes (s’ils détiennent aujourd’hui la majorité des pouvoirs, leur base électorale n’en demeure pas moins fragile au vu des résultats électoraux et du niveau de l’abstention) et pour des raisons idéologiques.

Une opinion publique qui n’est pas dupe et qui a déjà pris le virage de la rigueur
Pourtant, selon un sondage du 4 Juillet, Tilder-LCI-OpinionWay, 68% des français pensent que les annonces de Jean-Marc Ayrault annoncent bien un « tournant vers la rigueur », et parmi eux, 74% des électeurs de François Hollande.
Un autre sondage publié 6 Juillet, par TNS Sofrès pour Taddeo en partenariat avec Les Echos et Europe 1, semble mettre en évidence un plébiscite des mesures de rigueur mise en place par le gouvernement, relatives au gel des dépenses de l’état pour les 3 prochaines années (85% d’opinions favorables) ou encore à la baisse des effectifs de 2,5 % par an dans les ministères non prioritaires (approuvée par 66% des sondés). Les français semblent avoir moins de pudeur ou de problème de conscience avec la rigueur que les membres du gouvernement …
On pourrait en conclure que le bannissement du terme de rigueur obéit à des raisons à la fois externes (ne pas désespérer l’électorat) et internes (la conjuration de l’impasse de 1983). Pourtant l’état de l’opinion n’est pas le même qu’en 1983, et les français apparaissent lucides et réalistes : il n’est pas sûr que les exercices rhétoriques du gouvernement ne génèrent pas des problèmes de crédibilité et de confiance vis-à-vis des politiques mises en œuvre et des acteurs qui les portent.

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