Suite à la
publication dans le Parisien, du faible nombre de dossiers retenus par l’ONIAM
comme éligibles à une indemnisation, et aux doutes suscités sur l’ampleur de
l’affaire Mediator, il est intéressant d’examiner les nombreuses réactions que
cet évènement a suscité. Dans tous les scandales médiatisés sur une durée
suffisamment longue (l’affaire DSK par exemple), on observe évidemment ce type
de péripéties, de remise en question des certitudes élaborées au fil du temps,
à l’occasion d’un évènement particulier. Par contre, il est assez rare de voir
aussi clairement une stratégie coordonnée destinée à contenir le doute et à en
discréditer les sources supposées.
En effet,
c’est une véritable stratégie d’endiguement (ou « Containment » en
anglais) que mettent en place les antagonistes des Laboratoires Servier, pour
tenter de limiter les effets d’informations qui semblent avoir fragilisé les
positions des adversaires du Laboratoire.
Le spectre
des réactions est très large et met en évidence l’inquiétude sinon le vent de
panique qui saisit acteurs politiques et médias engagés. Deux registres sont
particulièrement investis :
-
Un registre de l’émotion qui oscille de l’expression de la
déception et de la compassion pour les parties civiles à l’indignation sinon à
la colère contre le fonctionnement d’un système d’expertise pourtant mis en
place par le Ministère de la Santé et qui ne rend pas les résultats escomptés.
C’est naturellement un registre investi dans un premier temps par les
personnalités les plus engagées en premières lignes dans la bataille contre le
Laboratoire et les plus médiatiques.
-
Un registre de précaution qui repose sur l’adoption d’une
posture prudente et en retrait par rapport aux affirmations péremptoires
antérieures ; elle est surtout le fait des medias, dont une grande partie
a revu à la baisse l’estimation du nombre de morts qu’aurait provoqué le Mediator ;
curieusement, n’est plus publiée dans les articles que l’estimation la plus
basse de 500 morts potentiels tandis que l’estimation haute de 2000 morts
potentiels n’est plus évoquée.
Une contre-offensive rapide et
violente
Immédiatement
après la parution de l’article concernant le faible nombre de dossiers retenus
par l’ONIAM, une contre-offensive s’est mise en place, consistant à remettre en
question soit le fonctionnement du dispositif d’expertise, soit l’indépendance
des experts désignés, ou à suggérer carrément l’existence de manœuvres de
manipulation de la part des Laboratoires Servier qui « feraient pression sur les experts ».
A ce titre,
les réactions d’Irène Frachon ont été particulièrement violentes, et donnent la
mesure des enjeux de la publication de ces premiers chiffres : elle
dénonce une pression de Servier sur les experts, et remet en cause l’indépendance
du collège d’experts.
Elle ira
jusqu’à accuser les experts « de
lâcheté » et « d’incompétence »
« Ce n'est pas une question
d'honnêteté, c'est une question de lâcheté : la plupart des experts ont peur de
perdre face à Servier, ils préfèrent sacrifier l'intérêt des patients »
« (Les experts) ont du mal à
raisonner de façon parfaitement scientifique face à de nombreuses pressions et
inquiétudes qui parasitent leur raisonnement ».
Dominique
Courtois, président de l'Association d'aide aux victimes du Mediator (Avim),
émet quant à lui, une hypothèse budgétaire et de prudence juridique de
l’état : le faible nombre de dossiers retenus serait dû à une extrême
prudence des pouvoirs publics inquiets de devoir assumer l’indemnisation si les
dossiers n’étaient pas assez solides.
Le précédent
ministre de la santé, Xavier Bertrand, se manifestera également très vite, pour
indiquer sur RTL que le fonds d’indemnisation des victimes du Mediator « n’a pas été mis en place pour devenir
une machine qui dit non » et « que
le doute doit bénéficier au patient ». L’effet d’annonce et la formule
de communiquant, qui lui donnent d’ailleurs l’occasion d’une interpellation
assez sèche de l’actuelle ministre socialiste de la Santé, rendent compte d’une
simplicité illusoire du dossier, qui ne relèverait que de la décision
politique, de la volonté et de la parole d’un ministre. C’est évidemment une
position simpliste, qui fait fi des règles juridiques et techniques d’imputabilité,
mais qui présente surtout l’intérêt d’être efficace médiatiquement, et de
détourner l’attention du véritable sujet : les causes réelles du faible
nombre de dossiers retenus par l’ONIAM.
Marisol Touraine : une ministre
sous influence
La Ministre
de la Santé Marisol Touraine a dabord fait montre d’une extrême prudence en
soulignant qu’elle était très attentive au dossier ; néanmoins, elle a vite
été contrainte de prendre la parole, par les adversaires des Laboratoires
Servier, qui ont su la placer dans une position très inconfortable :
Dès le 03
Octobre, Irène Frachon comme les représentants et les avocats des associations
de victimes, ont pointé du doigt un durcissement des règles de sélection des
dossiers d’indemnisation, par rapport aux « engagements » pris par le
Ministre précédent, Xavier Bertrand.
Ainsi, la
ministre doit-elle suggérer qu’il faut que « cette
commission reprenne sa façon de travailler… ». « Le doute ne doit pas profiter aux laboratoires Servier »,
a-t-elle également déclaré après avoir réaffirmé qu'elle ne voulait pas de « victimes de l'indemnisation », se
rapprochant dangereusement de la position excessive et périlleuse sur le plan
juridique, technique et politique, de son prédécesseur, Xavier Bertrand.
Les médias tenus à bride serrée
Face à des
chiffres qui sont très loin de la catastrophe sanitaire annoncée, certains
journalistes ont fait état des doutes sérieux qu’ils introduisaient sur
l’ampleur du scandale, mais surtout, sur l’écho médiatique peut-être
surdimensionné qui lui avait été donné ; l’expression de ces doutes
conduisant naturellement à des questions potentiellement gênantes sur les
raisons d’un tel déchainement médiatique : « Mediator : un
scandale sur-évalué ? », « L’affaire du Mediator risque de faire
pschitt », « L’affaire du Meidator semble se dégonfler »,
Mediator … beaucoup de bruit pour rien » …
Le discours
médiatique dans le traitement de l’affaire Servier, qui jusque-là, avait été
plutôt monolithique et systématiquement à charge, présentait le risque d’une
dérive sur des registres plus distanciés et analytiques : un risque majeur
pour les adversaires de Servier qui ont rapidement mis en œuvre des
contre-mesures :
-
Des
exposés didactiques expliquant in fine, que ces chiffres soit n’étaient pas
significatifs, soit relevaient d’une procédure inefficace et inadaptée.
-
Une
saturation des medias par des interviews des principales figures de
l’opposition au Laboratoire, dont le ton, la virulence, et les formules
« chocs » garantissaient un large echos.
-
Enfin,
et à l’extrême, une remise au pas en bonne et due forme des journalistes qui
s’étaient le plus écarté du discours dominant, les obligeant à faire amende
honorable et à la publier.
Ainsi, le
traitement médiatique de l’affaire au mois d’Octobre / Novembre, laisse
entrevoir le déploiement magistral d’une véritable stratégie d’endiguement des
informations contrariantes pour l’une des parties, et témoigne clairement que
les batailles se jouent d’abord dans l’arène médiatique, avant même de se jouer
devant des experts scientifiques ou des tribunaux. L’affaire du Mediator en est
un cas princeps.