vendredi 16 novembre 2012

Une stratégie de l’endiguement


Suite à la publication dans le Parisien, du faible nombre de dossiers retenus par l’ONIAM comme éligibles à une indemnisation, et aux doutes suscités sur l’ampleur de l’affaire Mediator, il est intéressant d’examiner les nombreuses réactions que cet évènement a suscité. Dans tous les scandales médiatisés sur une durée suffisamment longue (l’affaire DSK par exemple), on observe évidemment ce type de péripéties, de remise en question des certitudes élaborées au fil du temps, à l’occasion d’un évènement particulier. Par contre, il est assez rare de voir aussi clairement une stratégie coordonnée destinée à contenir le doute et à en discréditer les sources supposées.
En effet, c’est une véritable stratégie d’endiguement (ou « Containment » en anglais) que mettent en place les antagonistes des Laboratoires Servier, pour tenter de limiter les effets d’informations qui semblent avoir fragilisé les positions des adversaires du Laboratoire.
Le spectre des réactions est très large et met en évidence l’inquiétude sinon le vent de panique qui saisit acteurs politiques et médias engagés. Deux registres sont particulièrement investis :

-          Un registre de l’émotion qui oscille de l’expression de la déception et de la compassion pour les parties civiles à l’indignation sinon à la colère contre le fonctionnement d’un système d’expertise pourtant mis en place par le Ministère de la Santé et qui ne rend pas les résultats escomptés. C’est naturellement un registre investi dans un premier temps par les personnalités les plus engagées en premières lignes dans la bataille contre le Laboratoire et les plus médiatiques.

-          Un registre de précaution qui repose sur l’adoption d’une posture prudente et en retrait par rapport aux affirmations péremptoires antérieures ; elle est surtout le fait des medias, dont une grande partie a revu à la baisse l’estimation du nombre de morts qu’aurait provoqué le Mediator ; curieusement, n’est plus publiée dans les articles que l’estimation la plus basse de 500 morts potentiels tandis que l’estimation haute de 2000 morts potentiels n’est plus évoquée.

Une contre-offensive rapide et violente
Immédiatement après la parution de l’article concernant le faible nombre de dossiers retenus par l’ONIAM, une contre-offensive s’est mise en place, consistant à remettre en question soit le fonctionnement du dispositif d’expertise, soit l’indépendance des experts désignés, ou à suggérer carrément l’existence de manœuvres de manipulation de la part des Laboratoires Servier qui « feraient pression sur les experts ».

A ce titre, les réactions d’Irène Frachon ont été particulièrement violentes, et donnent la mesure des enjeux de la publication de ces premiers chiffres : elle dénonce une pression de Servier sur les experts, et remet en cause l’indépendance du collège d’experts.
Elle ira jusqu’à accuser les experts « de lâcheté » et « d’incompétence »
« Ce n'est pas une question d'honnêteté, c'est une question de lâcheté : la plupart des experts ont peur de perdre face à Servier, ils préfèrent sacrifier l'intérêt des patients »
«  (Les experts) ont du mal à raisonner de façon parfaitement scientifique face à de nombreuses pressions et inquiétudes qui parasitent leur raisonnement ».

Dominique Courtois, président de l'Association d'aide aux victimes du Mediator (Avim), émet quant à lui, une hypothèse budgétaire et de prudence juridique de l’état : le faible nombre de dossiers retenus serait dû à une extrême prudence des pouvoirs publics inquiets de devoir assumer l’indemnisation si les dossiers n’étaient pas assez solides.

Le précédent ministre de la santé, Xavier Bertrand, se manifestera également très vite, pour indiquer sur RTL que le fonds d’indemnisation des victimes du Mediator « n’a pas été mis en place pour devenir une machine qui dit non » et « que le doute doit bénéficier au patient ». L’effet d’annonce et la formule de communiquant, qui lui donnent d’ailleurs l’occasion d’une interpellation assez sèche de l’actuelle ministre socialiste de la Santé, rendent compte d’une simplicité illusoire du dossier, qui ne relèverait que de la décision politique, de la volonté et de la parole d’un ministre. C’est évidemment une position simpliste, qui fait fi des règles juridiques et techniques d’imputabilité, mais qui présente surtout l’intérêt d’être efficace médiatiquement, et de détourner l’attention du véritable sujet : les causes réelles du faible nombre de dossiers retenus par l’ONIAM.

Marisol Touraine : une ministre sous influence
La Ministre de la Santé Marisol Touraine a dabord fait montre d’une extrême prudence en soulignant qu’elle était très attentive au dossier ; néanmoins, elle a vite été contrainte de prendre la parole, par les adversaires des Laboratoires Servier, qui ont su la placer dans une position très inconfortable :

Dès le 03 Octobre, Irène Frachon comme les représentants et les avocats des associations de victimes, ont pointé du doigt un durcissement des règles de sélection des dossiers d’indemnisation, par rapport aux « engagements » pris par le Ministre précédent, Xavier Bertrand.

Ainsi, la ministre doit-elle suggérer qu’il faut que « cette commission reprenne sa façon de travailler… ». « Le doute ne doit pas profiter aux laboratoires Servier », a-t-elle également déclaré après avoir réaffirmé qu'elle ne voulait pas de « victimes de l'indemnisation », se rapprochant dangereusement de la position excessive et périlleuse sur le plan juridique, technique et politique, de son prédécesseur, Xavier Bertrand.

Les médias tenus à bride serrée
Face à des chiffres qui sont très loin de la catastrophe sanitaire annoncée, certains journalistes ont fait état des doutes sérieux qu’ils introduisaient sur l’ampleur du scandale, mais surtout, sur l’écho médiatique peut-être surdimensionné qui lui avait été donné ; l’expression de ces doutes conduisant naturellement à des questions potentiellement gênantes sur les raisons d’un tel déchainement médiatique : « Mediator : un scandale sur-évalué ? », « L’affaire du Mediator risque de faire pschitt », « L’affaire du Meidator semble se dégonfler », Mediator … beaucoup de bruit pour rien » …

Le discours médiatique dans le traitement de l’affaire Servier, qui jusque-là, avait été plutôt monolithique et systématiquement à charge, présentait le risque d’une dérive sur des registres plus distanciés et analytiques : un risque majeur pour les adversaires de Servier qui ont rapidement mis en œuvre des contre-mesures :
-          Des exposés didactiques expliquant in fine, que ces chiffres soit n’étaient pas significatifs, soit relevaient d’une procédure inefficace et inadaptée.
-          Une saturation des medias par des interviews des principales figures de l’opposition au Laboratoire, dont le ton, la virulence, et les formules « chocs » garantissaient un large echos.
-          Enfin, et à l’extrême, une remise au pas en bonne et due forme des journalistes qui s’étaient le plus écarté du discours dominant, les obligeant à faire amende honorable et à la publier.

Ainsi, le traitement médiatique de l’affaire au mois d’Octobre / Novembre, laisse entrevoir le déploiement magistral d’une véritable stratégie d’endiguement des informations contrariantes pour l’une des parties, et témoigne clairement que les batailles se jouent d’abord dans l’arène médiatique, avant même de se jouer devant des experts scientifiques ou des tribunaux. L’affaire du Mediator en est un cas princeps.

 

mardi 6 novembre 2012

MEDIATOR : Du Storytelling au Panurgisme médiatique


Décidément, l’affaire Mediator est riche en rebondissements et tient ses promesses de devenir un cas d’école pour l’étude des guerres médiatiques qui se livrent pour la conquête de l’opinion.

Les récents développements de l’affaire du Mediator ébranlent les convictions les plus assurées et mettent en porte-à-faux les prises de position pour le moins radicales d’un certains nombres de personnalités politiques (Ministres de la Santé, agences d’état …) et des médias.
« Plus de 85 % des dossiers de victimes présumées du Mediator sont jugés irrecevables par les experts du ministère de la Santé » a révélé Le Parisien.

A ce jour, seulement 20 dossiers d’indemnisation ont fait l’objet d’un avis positif de la part du collège d’experts de l’ONIAM (Office national d'indemnisation des accidents médicaux) mandaté par le Ministère de la Santé, tandis que 555, c’est-à-dire l’immense majorité des dossiers pour l’instant examinés, ont été rejetés pour « absence de liens de causalité prouvés » entre les pathologies signalées et la prise de Mediator. En outre, dans les quelques cas où le lien de causalité a été reconnu, l’incapacité retenue est très faible, entre 5 et 10%.

Ces premiers résultats sont très loin de la catastrophe sanitaire annoncée, et jettent un doute sur la réalité de l’affaire et la crédibilité des chiffres avancés au départ (500 à 2000 morts) ; ils posent aussi à terme, la question de la légitimité des poursuites engagées contre Les Laboratoires Servier et des véritables raisons qui les ont motivées.

Face à une situation qui remet en question les prises de parole d’une multitude d’intervenants et qui fragilise leur position « d’accusateurs publics », les réactions ne se sont pas faîtes attendre ; leur examen est riche d’enseignement sur les stratégies médiatiques développées par ces différents acteurs.


Une affaire qui se dégonfle ?

Le faible nombre de dossiers retenus par l’ONIAM met en péril la base même d’une argumentation développée pendant 2 ans dans tous les médias, et considérée comme valide. Le Mediator aurait provoqué de 500 à 2000 morts. Cette argumentation reposait notamment sur les résultats d’études épidémiologiques ayant, à l’époque, largement alimenté le dossier de l’accusation, et dont les projections chiffrées ont été reprises systématiquement par les médias, lors des quelques centaines d’articles édités sur le sujet.

Parallèlement, les objections exprimées sur la validité de la méthode et la crédibilité des chiffres avancés avaient été proprement enterrées par les médias. Or depuis l’annonce du nombre de dossiers retenus par l’ONIAM, on observe dans les articles de presse, une prudente révision à la baisse, du nombre de victimes supposées sur 30 ans (même si il demeure important).

Cette remise en question des chiffres présente un risque majeur pour l’ensemble des acteurs impliqués :
-          Les extrapolations chiffrées du nombre de morts avancées par les épidémiologistes Catherine Hill et Mahmoud Zureik sont sérieusement questionnées.
-          La dramatisation continue et générale de l’affaire par les médias apparaît excessive.
-          Les prises de parole et les décisions de l’ancien Ministre de la Santé, Xavier Bertrand, et de l’ex-Afssaps sont réinterrogées, de même que celles de Gérard Bapt, le président de la Mission d’Information Parlementaire sur le Mediator.
-          Le contenu du rapport de l’IGAS, co-rédigé par Aquilino Morelle, actuelle plume de François Hollande, suscite pour le moins quelques réserves.

La dimension de « scandale sanitaire sans précédent » tend à être invalidée par le faible nombre de dossiers retenus par la commission d’experts indépendante de l’ONIAM, qui apparaît sans rapport avec les projections antérieures (même s’il reste des milliers de dossiers à examiner).

Au-delà des chiffres, c’est l’ensemble du traitement de l’affaire du Mediator dans les médias et les stratégies des différents intervenants qui sont remis en question : une partie de l’affaire semblent en effet relever d’une véritable construction et des techniques manipulatoires du storytelling de façonnage de l’opinion.

Le « panurgisme médiatique », abolissant tout esprit critique et transformant les journalistes en techniciens du copier / coller, construit un terrain plus que propice au développement de ces techniques de marketing et de communication ; l’affaire du Mediator en est un exemple flagrant, comme l’affaire, plus récente de l’étude sur les OGM du Professeur Séralini.

La question de la manipulation de l’opinion, et au premier chef, des medias, est clairement posée : « Mediator : un scandale sur-évalué ? »



vendredi 13 juillet 2012

La rigueur ne se paie pas de mot : de la rhétorique de la crise à la crise de la rhétorique


Le front des grandes affaires politico-médiatiques (DSK, Mediator …) marque le pas. A la suite de l’élection présidentielle et des législatives, la production des discours médiatiques s’est largement réorientée sur les options des politiques gouvernementales dans la gestion d’une crise structurelle qui menace l’économie française et son modèle social. Des débats télévisés aux tribunes et éditoriaux, c’est d’abord une bataille de mots qui se livre entre les protagonistes, révélatrice des enjeux politiques, sociaux et économiques des représentations telles qu’elles sont construites par les acteurs. Ce n’est pas tant la réalité de la situation économique et celle des finances publiques qui fait débat, que la manière de définir et de qualifier la politique mise en œuvre par le gouvernement.
A cet égard, ces dernières semaines, le débat public se cristallise autour d’un terme « Rigueur ».
A peine élu, le nouveau gouvernement socialiste s’emploie-t-il à réfuter qu’il ait choisi ou qu’il soit contraint à conduire une politique de « rigueur », tandis que l’opposition de droite, sinon ses « alliés » du Front de gauche, s’évertuent-ils à le démontrer.
Ainsi, le premier ministre Jean-Marc Ayrault, comme la majeure partie de son gouvernement, s’est défendu avec véhémence, de conduire une politique marquant un tournant vers la rigueur » et la conduite ou la programmation d’une politique d’austérité :
Le 3 Juillet, dans son discours de politique générale devant l’Assemblée, il déclare « Je revendique le sérieux et la responsabilité budgétaire … mais je refuse l’austérité ».
Le 4 Juillet, le premier ministre insiste « Austérité non ! Rigueur non plus ! Mais des efforts et du sérieux » sur le plateau du 20 heures de TF1.

Une politique de rigueur qui ne veut pas dire son nom
Ce débat autour d’un mot, n’a rien de futile, et révèle des enjeux de représentation particulièrement sensibles et traumatiques pour la gauche.
Dans un entretien accordé à Challenges, le 5 Juillet, Pierre Moscovici, Ministre de l’Economie, des Finances et du Commerce Extérieur, reconnaît quant à lui, que le mot Rigueur n’est pas utilisé « car dans l’histoire de la gauche, ce mot est associé à un cycle historique … qui a donné le sentiment que la gauche s’était reniée ».
En effet, et c’est l’un des principaux enjeux de ce tabou sur le terme de « rigueur », il s’agit de mettre à distance tout rapprochement avec le « tournant de la rigueur » de 1983 qui marqua un virage radical de politique économique, l’échec du programme commun de la gauche, et de sa doctrine économique d’inspiration keynésienne de relance par la consommation au profit d’une doctrine d’inspiration libérale ; il annoncera les sévère défaite électorale des années suivantes. On comprend dès lors la répugnance envers le terme de « rigueur » mais il n’est pas sûr que son élimination du discours politique de la gauche, ne supprime également la réalité de sa mise en œuvre effective dans les politiques actuelles !
Les choix lexicaux et sémantiques du gouvernement poursuivent également d’autres objectifs :
-          Se démarquer des « plans de rigueur » affichés et assumés par le précédent gouvernement.
-          Tenter de faire exister une politique « d’effort » mais dans le « partage » et la « justice sociale » qui la distinguerait radicalement des politiques précédentes ; l’exercice rhétorique, à l’évidence, n’est pas facile.
-          Préserver l’image d’un pouvoir politique autonome par rapport à un contexte économique (mondialisation, poursuite de la crise, désindustrialisation massive, faible croissance …) et à une situation budgétaire (déficit abyssal, réduction sous contrainte de la dette publique, imposition d’une « règle d’or » européenne …) qui réduisent de manière drastique, les marges de manœuvre et les choix.
De fait, il s’agit bien de l’engagement dans une politique de rigueur qui s’annonce, s’appuyant sur une croissance de la pression fiscale parallèlement à une réduction importante des dépenses publiques. Le gouvernement et toute la gauche ne le reconnaisse pas, pour des raisons à la fois électoralistes (s’ils détiennent aujourd’hui la majorité des pouvoirs, leur base électorale n’en demeure pas moins fragile au vu des résultats électoraux et du niveau de l’abstention) et pour des raisons idéologiques.

Une opinion publique qui n’est pas dupe et qui a déjà pris le virage de la rigueur
Pourtant, selon un sondage du 4 Juillet, Tilder-LCI-OpinionWay, 68% des français pensent que les annonces de Jean-Marc Ayrault annoncent bien un « tournant vers la rigueur », et parmi eux, 74% des électeurs de François Hollande.
Un autre sondage publié 6 Juillet, par TNS Sofrès pour Taddeo en partenariat avec Les Echos et Europe 1, semble mettre en évidence un plébiscite des mesures de rigueur mise en place par le gouvernement, relatives au gel des dépenses de l’état pour les 3 prochaines années (85% d’opinions favorables) ou encore à la baisse des effectifs de 2,5 % par an dans les ministères non prioritaires (approuvée par 66% des sondés). Les français semblent avoir moins de pudeur ou de problème de conscience avec la rigueur que les membres du gouvernement …
On pourrait en conclure que le bannissement du terme de rigueur obéit à des raisons à la fois externes (ne pas désespérer l’électorat) et internes (la conjuration de l’impasse de 1983). Pourtant l’état de l’opinion n’est pas le même qu’en 1983, et les français apparaissent lucides et réalistes : il n’est pas sûr que les exercices rhétoriques du gouvernement ne génèrent pas des problèmes de crédibilité et de confiance vis-à-vis des politiques mises en œuvre et des acteurs qui les portent.

jeudi 28 juin 2012

De l’instrumentalisation de l’opinion à l’instrumentalisation d’un procès « spectacle »


La dénonciation par la Justice d’une stratégie de manipulation de l’opinion

Le procès ouvert le 14 Mai à Nanterre contre Jacques Servier et ses co-prévenus, annoncé comme gagné d’avance par les parties civiles, a été reporté dès le 21 Mai. Le tribunal correctionnel de Nanterre a décidé le report du procès pénal, après avoir jugé « sérieuse » une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) soumise par les avocats de Servier, qu’elle a décidé de transmettre à la Cour de cassation. Pour faire simple, la défense de Servier conteste la possibilité d’être jugé en citation directe à Nanterre alors qu'ils sont mis en examen pour les mêmes faits de tromperie aggravée au TGI de Paris et que nul ne peut être jugé deux fois pour le même délit.

Le tribunal de Nanterre a jugé que les droits et libertés de la défense pouvaient être mis en cause « puisque les prévenus (...) de Nanterre par voie de citation directe, mis en examen pour les mêmes faits (...) à Paris ne pourraient par exemple pas produire des pièces couvertes par le secret de l'instruction ou placées sous scellés », n’autorisant pas le tribunal à « juger dans le respect des droits des parties ni de garantir un procès équitable ».

Si le point de droit soulevé est important, le préambule développé par la juge, Isabelle Prévost-Desprez, pour motiver sa décision, constitue un évènement d’égale importance dans le traitement médiatique, tant il se montre exceptionnellement dur à l’endroit des avocats de parties civiles. La juge dénonce l’instrumentalisation d’une procédure à des fins de communication médiatique et au détriment de toutes les règles d’un procès pénal :
  1. « Il n’appartient à aucune partie de décider ni d’imposer son calendrier, fût-il médiatique ou judiciaire, en bafouant les règles fondamentales du procès pénal »
  2. « Il ne saurait être imposé à aucun juge (…) un dossier tronqué au motif que la justice doit passer vite et donc dans n’importe quelles conditions »
  3. « Il n'appartient pas aux parties de dicter leur décision aux juges en instrumentalisant l'opinion publique.»
La charge est lourde, et dénonce une atteinte grave aux principes mêmes du droit et au fonctionnement de la Justice.

Du procès de Nanterre aux procès de Moscou
L’intérêt de ces commentaires réside dans leur singularité : c’est la première fois qu’un tribunal dénonce publiquement une manœuvre de manipulation de l’opinion publique ; ce premier procès que tous les médias présentaient comme le début de la fin pour Jacques Servier et son groupe, se révèle être une gigantesque manœuvre d’instrumentalisation de l’opinion. Les commentaires de la juge dénoncent une stratégie de communication, dont nous avons pu antérieurement mettre en évidence les ressorts et les acteurs, qui ne se limitent manifestement pas aux seuls avocats des parties civiles. Le procès de Nanterre devait constituer le point d’orgue d’un procès déjà mené tambour battant dans les médias ; ne manquait que la confirmation spectaculaire d’une culpabilité proclamée depuis 2 ans dans les medias, par une condamnation pénale qui semblait être acquise … C’est l’inverse qui s’est produit, lorsque la Justice, par l’intermédiaire de la juge Isabelle Prévost-Desprez, est venue brutalement rappeler aux avocats, aux medias et à certaines personnalités, qu’elle ne saurait être manipulée et qu’elle était garante du respect du droit.

La réalité judiciaire et son impartialité sont venus heurter de plein fouet ce qui apparaît rétrospectivement comme une construction fictionnelle magistrale ; les nombreux articles qui avaient « étayé » au cours des mois les certitudes sur la culpabilité de Servier, apparaissent dès lors, pour ce qu’ils sont : les pièces d’une gigantesque manipulation de l’opinion dont la validité est clairement ébranlée :  expression d’opinions « péremptoires » et « intéressées » de personnalités politiques, divulgation opportune et partielle de pièces de l’instruction en cours et de « pseudo » preuves, témoignages « anonymes » d’anciens employés, publication de « projections » statistiques dont la méthodologie est largement critiquée … C’est la validité et la crédibilité de centaines de publications médiatiques, qui sont ainsi brutalement remises en question.

Fait sans précédent, en condamnant une stratégie de communication, le juge en valide l’existence. Ce qui est dénoncé n’est pas une simple manipulation technique, mais le dévoiement de la procédure pénale, l’instrumentalisation de l’opinion persuadée d’une culpabilité que la Justice n’a pas encore établie, et que les détracteurs de Servier se faisaient forts de faire reconnaitre sans preuves. Au-delà, c’est l’instrumentalisation du procès de Nanterre qui a été condamnée par la juge ; un véritable procès « spectacle » où se pressaient nombre de journalistes dont les premiers articles laissent peu de doute sur leurs convictions que les jeux étaient faits, et qu’ils venaient rendre compte d’une mise à mort. Le procès de Nanterre prenait dangereusement des allures de procès de Moscou.

Comment passer de l’offensive à la défense ?

Suite à la décision de report, les commentaires des avocats des parties civiles et de personnalités comme Irène Frachon ou le député Gérard Bapt, éclairent d’ailleurs les intentions qu’ils poursuivaient à travers cette procédure, risquée sur le plan judiciaire mais extrêmement payante sur le plan médiatique. Au-delà des arguments développés sur la nécessité d’un procès rapide dans l’intérêt des victimes, il s’agissait d’obtenir une première condamnation publique à grand spectacle, permettant de consolider les positions avant le procès de Paris qui s’annonce moins facile qu’annoncé. Il s’agissait aussi de lancer un avatar de « Class Action », une procédure n’existant pas encore en droit français mais qui constitue une revendication importante de la part d’un certain nombre de groupes de pression politiques ou associatifs.

La désignation et la dénonciation par un juge, d’un dispositif de communication et d’influence patiemment mis en place par les opposants les plus actifs des Laboratoires Servier, met à mal une stratégie de manipulation qui par essence, devait rester cachée. Il était donc logique que le dévoilement de la stratégie d’instrumentalisation de l’opinion attire l’ire de ces acteurs à la manœuvre qui n’ont pas tardé à adopter une stratégie défensive coordonnée.

  • Ainsi, Gérard Bapt  ex-coprésident de la mission d'information sur le Mediator et la pharmacovigilance a-t-il suggéré dès le 21 Mai, que « l'objectif final est que ce dossier ne puisse venir que dans des années devant un tribunal » . http://www.apmnews.com/Mediator-pas-de-proces-avant-au-mieux-2013-NS_226185.html
  • Irène Frachon, la pneumologue brestoise à l’origine de l’affaire, et qui devait témoigner lors du procès, se voit offrir dès le 26 Mai, une tribune par le Nouvel Obs dont l’implication partisane sur l’affaire ne se dément pas (l’article est par une « auteur parrainé par Sophie Des Deserts », dont les articles sur Servier relèvent systématiquement moins de l’information que de l’influence bien comprise). Elle se livre à une charge sans concession contre la juge dont elle suggère que la position relèverait « d’un étonnant règlement de compte personnel » et contre le fonctionnement de la Justice  qui « ne daignerait pas s’écarter de sa sérénité pour instruire et sanctionner » et dont les juges auraient voulu, « une fois encore, s’abriter derrière des questions de procédure »  : des déclarations malencontreuses dont on ne peut que souhaiter qu’elles soient dictées plus par le dépit que par une conception « expéditive » de la Justice.
    http://leplus.nouvelobs.com/contribution/558696-proces-du-mediator-repousse-les-victimes-abasourdies-et-moi-aussi.html
  • Enfin, dès le lendemain, le 27 Mai, ce sont les principaux avocats des parties civiles, Martine Verdier, Charles Joseph-Oudin et François Honnorat, qui mettent en cause la juge Isabelle Prevost-Desprez dont ils n’ont pas apprécié la position très critique à leur endroit, et qui veulent obtenir son dessaisissement, alors même qu’ils en louaient il y a peu l’indépendance et l’impartialité. Le président du tribunal de grande instance de Nanterre ne voit pourtant aucune faute de sa part … http://www.lejdd.fr/Societe/Justice/Actualite/La-juge-du-Mediator-Isabelle-Prevost-Desprez-est-soupconnee-de-partialite-514262/

Cette dénonciation gêne également les medias, qui ont sans cesse privilégié l’émotion et l’exercice spectaculaire du lynchage médiatique au détriment de toute rationalité et analyse critique.
Ainsi, la plupart des medias, peu enclins à se déjuger, rendent-ils compte d’un report du procès « pour une question de procédure », voire d’une « victoire procédurale pour Servier » avec l’objectif affiché de « gagner du temps » : une posture d’information minimaliste sinon tendancieuse, qui tente de maintenir la fiction et le suspens d’une lutte entre « David et Goliath », le défenseur du « bon droit » et des valeurs contre un monstre puissant et procédurier… En matière de Presse, les explications simplistes sont, semble-t-il, toujours les meilleures, et permettent de faire l’économie d’une remise en question des nombreuses publications et prises de position partisanes antérieures.

De la fable à l’information
Pourtant, les éléments d’information susceptibles de nourrir le débat et d’éclairer l’affaire ne manquent pas sur le Web ; on les trouve sur des sites et des blogs spécialisés bien loin de la rhétorique journalistique des Medias Mainstream, et ils se montrent extrêmement critiques vis à vis des manœuvres des opposants à Servier, sur le fond comme sur la forme. Les critiques se répartissent sur plusieurs thématiques :

Le principe de la citation directe initiée par les avocats des parties civiles devant le tribunal de Nanterre, avaient fait depuis longtemps l’objet d’interrogations sur son bien-fondé, sinon de critiques sans concession, notamment de la part d’avocats et de spécialistes du droit … Elles n’avaient, bien entendu, pas fait l’objet d’un minimum d’attention de la part de la Presse, dont les journalistes ne se montrent décidément ni très curieux, ni très critiques ….

Sur le site de Riskassur, ( http://www.riskassur-hebdo.com/actu01/actu_auto.php?adr=2205121729 ) la procédure de citation directe est jugée inappropriée et déconseillée en l’espèce « D'une manière générale, une citation directe aboutit rarement à une condamnation, faute par son auteur de réunir l'élément de preuve de la constitution du délit pénal invoqué, en l'absence d'une enquête diligenté par le procureur de la République et sans intervention d'un juge d'instruction. », et présentant des risques pour les plaignants, de perdre la caution versée et de s’exposer à être condamné au paiement des frais de justice.

Sur le Blog « Les Actualités du Droit » tenu par Me Gilles Devers, la charge est encore plus critique ( http://lesactualitesdudroit.20minutes-blogs.fr/archive/2012/05/22/mediator-le-naufrage-d-une-procedure-spectacle.html ). Dans un article publié le lendemain de la décision de Nanterre, il fustige tout à la fois :

- Une procédure vouée à l’échec : « Le 14 Décembre (date fixée de l’audience relais) On verra… ce qu’il reste de cette malheureuse citation… ».
- Les motivations des avocats des parties civiles à avoir engagé une procédure de citation directe distincte de la procédure instruite au pôle Santé du TGI de Paris : « Ne racontons pas d’histoire : c’est un truc d’avocat pour passer à la télé ».
- La réalité d’un procès qualifié de « tronqué » par la juge elle-même : « L’évidence, c’est le procès tronqué. On coupe artificiellement une part du dossier, avec quelques victimes consentantes, et ont fait un petit procès en espérant avoir une première condamnation avant les autres … on focalise sur Jacques Servier alors qu’il y a bien d’autres intervenants, et que se pose de plus en plus la question de l’AFSSAPS ».
- les risques majeurs encourus par les parties civiles « embarquées dans cette aventureuse affaire » : «  …si la citation directe est médiatiquement belle, elle est juridiquement fragile … Aussi, les victimes prennent un risque insensé en se privant du dossier d'instruction, et elles s'exposent à perdre le procès sans avoir fait valoir tous leurs arguments ».

Ce cas illustre, s’il en était besoin, le problème de la crédibilité d’une information par les medias Mainstream qui relève désormais plus d’un principe et d’un mécanisme de propagande et d’influence, que d’une mission d’information des citoyens. Au-delà, la révélation et la dénonciation d’une stratégie d’instrumentalisation de l’opinion impliquant à la fois des politiques et des Medias, a rarement été mise au jour de manière aussi limpide ; elle promet à court terme, une bataille homérique dans laquelle l’ensemble des acteurs impliqués risquent très gros en terme de crédibilité et de réputation.


mardi 15 mai 2012

MEDIAS ET PROPAGANDE A TRAVERS LE CAS SERVIER


Le procès de Servier pour « tromperie aggravée » vient de s’ouvrir Lundi 14 Mai ; ce volet juridique qui procède d’une citation directe, est controversé dans la mesure où une autre procédure est instruite sur le fond au tribunal de Paris ; Les avocats de Servier ont soulevé deux questions prioritaires de constitutionnalité, tandis que certaines parties civiles craignent que la procédure de Nanterre, si elle avait une issue défavorable aux parties civiles, n’ait un effet désastreux sur l’instruction parisienne.

Néanmoins, c’est depuis le début de cette affaire, la première réelle occasion pour les Laboratoires Servier, de se défendre face à leurs opposants et de faire valoir leurs arguments, après une campagne politique et médiatique particulièrement bien orchestrée. Il va donc être intéressant de suivre cette confrontation et le traitement médiatique qui va l’accompagner.

Nous avions rendu compte, dans de précédents articles, d’un certain nombre de manœuvres d’influence répertoriées sur l’année 2011, allant de l’emploi de robots mangas pour relayer des messages en masse, à la rédaction d’articles à charge « étonnamment » bien relayés dans les médias, en passant par des stratégies de Community management sur les réseaux sociaux.

Sur le premier trimestre 2012, l’offensive « anti-Servier » se poursuit, mais semble accuser une baisse d’intensité, naturellement commandée par le contexte de l’élection présidentielle (dont nous nous attachons d’ailleurs à constituer un corpus indépendant afin de tester nos modèles d’analyse sur le champ politique). Cependant, il semble également que les « adversaires » des Laboratoires Servier se trouvent confrontés, pour la première fois, à des réactions de contradicteurs sur le Web (en particulier sur Twitter).


L’émergence d’une timide opposition au discours dominant sur l’affaire Mediator.

Si les contenus et la tonalité des articles des grands médias ne varient pas et demeurent unanimement hostiles (avec une proximité formelle des textes entre les différents medias qui interroge d’ailleurs fortement la différenciation des titres entre eux, et la logique de production des contenus d’information), les contenus des commentaires, blogs et forums sont moins monolithiques et font état de débats et d’affrontements sur les différents volets de l’affaire.

Ils témoignent de la dimension politique sensible du « scandale sanitaire » qui est notamment véritablement instrumentalisé par les partis de gauche (du PS au front de gauche) durant la campagne. Ils révèlent également le début d’une remise en question des contenus postés par les medias Mainstream, soit qu’ils soient trop monolithiques et trop ouvertement hostiles sans distance ni analyse critique dans leurs prises de position, soit qu’ils fassent des « erreurs » et propagent des rumeurs et des informations sujettes à caution.

Parmi ces critiques émergentes dénonçant une opération de « propagande » et de manipulation médiatique, on peut identifier un certain nombre d’acteurs :

-          Des Salariés de Servier, qui s’affrontent sur Twitter avec leurs moyens limités mais parfois efficaces, à des détracteurs de leur entreprise, dont une partie est manifestement constituée de Community Managers agissant sur commande et une autre, de personnalités mettant leur influence au service d’intérêts économiques (des laboratoires concurrents de Servier) et/ou politiques (plutôt dans la mouvance du PS).

-          Des militants politiques, marquant l’utilisation de l’affaire Mediator dans la campagne présidentielle.

-          Des profils « citoyens » moins aisément identifiables et relativement hétérogènes, qui interrogent dans blogs, forums et commentaires, les partis-pris des medias sur l’affaire, et pointent leur constance et leur unanimité troublantes malgré des péripéties et de nouvelles informations qui contredisent pour le moins les « thèses officielles » construites au cours des derniers mois.

-          Des professionnels de Santé, relativement rares à prendre la parole sur une affaire qui les concernent pourtant directement (question de l’engagement de leur responsabilité sur les prescriptions hors AMM du Mediator, conduite de la réforme du médicament, faillite de l’Afssaps …).

Pour autant, si ces positions critiques sont relativement nouvelles, force est de constater qu’elles ne se développent que sur les medias sociaux, et n’ont qu’un poids médiatique extrêmement faible.



Un système d’influence puissant au service de la « propagande » anti-Servier.

Ce constat met en exergue la puissance d’un dispositif d’influence anti-Servier qui associe Community Management, relais d’influence et contrôle des medias Mainstream sur le Web. Il constitue également un indice fort d’existence soit d’une stratégie coordonnée, soit d’une convergence entre des intérêts différents mais complémentaires. En effet, les différents développements de l’affaire Mediator au cours du temps (sur le plan juridique, politique, économique, sociétal, médical …) révélant des points et des positions contradictoires, auraient dû logiquement introduire les termes d’un débat critique, des positions discursives différenciées repérable dans notre corpus ; or on ne peut que constater la permanence et le caractère indifférencié des contenus et de leur tonalité (sinon le plus souvent la parfaite identité textuelle des articles postés, quasiment dupliqués à l’identique sur tous les supports). L’absence de point de vue critique et la trop parfaite homogénéité des contenus informatifs est un indice intéressant de l’existence d’une stratégie d’influence.

Une autre hypothèse pouvant expliquer ce phénomène, serait relative au mode de production des contenus d’information par les medias Mainstream, qui relèverait désormais d’une simple rediffusion des dépêches des agences de presse et d’une pratique généralisée de la « copie » à peine remaniée des articles des confrères. La proximité formelle systématique entre les articles de différents titres de presse sur l’affaire Mediator (et sur d’autres sujets), interroge en effet les conditions de production médiatiques qui semblent pour la plupart relever d’une logique de réécriture et de reproduction inflationniste d’un contenu original qui ne représente au mieux que 5 à 10% du volume total des contenus postés sur le Web. Le phénomène est sans aucun doute bien réel et questionne clairement l’indépendance des médias, l’organisation et les objectifs des rédactions, les conditions de travail et les contraintes des journalistes …



L’analyse des contenus postés sur le web révèle les stratégies développées par les adversaires de Servier.

Néanmoins, ces pratiques ne sauraient expliquer à elles seules, les partis-pris et les thématiques développées sur l’affaire Servier, qui relèvent clairement de stratégies délibérées. Ainsi plusieurs « offensives » ont été développées au premier trimestre 2012, dans la continuité des périodes précédentes ; chacune constitue un volet efficace d’une politique globale d’ostracisation et de « Containment » des Laboratoires Servier, dont la cohérence est remarquable lorsqu’on en examine les contenus et la chronologie ; différentes « opérations » se succèdent ou se superposent :

-          L’amplification artificielle : la publication des résultats de l’étude de Mahmoud Zureik, épidémiologiste à l’INSERM qui avait déjà avancé un chiffre de 1000 à 2000 morts en 2010, dans une revue d’épidémiologie anglo-saxonne « Pharmacoepidemiology and Drug Safety » est massivement relayée par la presse et présentée comme une nouvelle étude confirmant les chiffres avancés précédemment. Or, il semble qu’il s’agisse d’une republication de l’étude initiale dont les résultats avaient été précédemment communiqués en France. Tous les medias et les CM sur Twitter la présentent pourtant comme une nouvelle étude, et aucun article ne semble interroger une possible tentative de crédibiliser des chiffres et une méthodologie qui avaient été précédemment sérieusement remis en question par des cardiologues experts des valvulopathies.

-          L’insinuation : la perquisition à l’Afssaps et au domicile de plusieurs de ses cadres menée sur commission rogatoire est dramatisée par les medias et présentée d’une manière qui fait « soupçonner l’existence avérée de manœuvres de corruption » au profit de Servier. La massivité des publications n’est évidemment pas neutre.

-          La divulgation d’informations erronées  : La « perquisition » au siège de Servier, qui s’avèrera n’être qu’un transport de Justice, et le « placement en garde à vue » de salariés, dans le cadre d’un enquête pour destruction de preuves, qui s’avèrera n’être qu’une simple audition de témoins, ont été très massivement relayés par les medias Mainstream et sur les réseaux sociaux ; malgré une « erreur » manifeste sur la qualification des évènements, les démentis et les corrections ont été forts rares ... Dans ce cadre, on peut légitimement soupçonner que cette présentation des faits reposait sur une intention délibérée de nuire et/ou de dramatiser la situation. Cette opération illustre parfaitement le principe qui guide une partie des actions des détracteurs de Servier : « accusez, il en restera toujours quelque chose » ; ce vieux principe retrouve une efficacité majeure sur le web.

-          La stigmatisation : la présentation d’un cas clinique d’atteinte des valves cardiaques est l’occasion d’établir un parallèle entre le médicament Mediator et la drogue Ecstasy. Le rapprochement est percutant, et terriblement efficace en termes de communication. Il n’a évidemment pas de visée informative, mais poursuit manifestement un objectif de stigmatisation du Mediator et surtout des Laboratoires Servier.

-          La manipulation de l’information : Le traitement d’une autre affaire concernant un autre médicament de Servier, le Protelos, est également significative de la priorité donnée à l’objectif d’ostracisation des Laboratoires Servier sur l’information, fusse au prix de petits arrangements avec la réalité des faits. L’agence européenne du médicament (EMA) qui avait été saisie par l’Afssaps, a confirmé un rapport bénéfice / risque positif du Protelos au grand dam de Xavier Bertrand et du directeur de l’Afssaps ; elle a assorti son rapport d’un renforcement des précautions de prescription. Les agences de presse AFP et APM et les medias mettent quasi exclusivement l’accent sur les « nouvelles restrictions de prescription » et passent sous silence le fond de l’affaire : le camouflé essuyé par les autorités françaises au niveau européen dans leur volonté de faire interdire un certain nombre des médicaments de Servier. Compte tenu des violentes campagnes médiatiques orchestrées dans la presse et sur les réseaux sociaux contre le Protelos à l’automne 2011, on comprend également qu’un certain nombre de protagonistes aient été particulièrement gênés par la décision de l’EMA. La situation de porte-à-faux était d’ailleurs d’autant plus intenable que, dans le même temps, le Protelos se révélait être également le premier médicament réellement efficace contre l’arthrose du genou.


Ces constats valident l’opérationnalité de notre méthode de recueil, d’analyse et de traitement de très larges corpus médiatiques, dans la maîtrise des stratégies discursives de nombreux acteurs impliqués sur un sujet. Ils valident la possibilité de déceler à la fois l’organisation interne des discours des émetteurs, mais aussi de leurs stratégies telle qu’elle se déploie dans la durée. Cependant, plusieurs questions méthodologiques se posent encore, notamment en ce qui concerne le traitement de corpus de textes très hétérogènes recueillis sur le web (les tweets Versus articles de Presse Versus textes de blogs Versus commentaires sur un forum …) ; le cas de l’affaire Mediator est, en l’occurrence, une plateforme d’expérimentation idéale pour tester et valider un certain nombre d’hypothèses et de méthodologies d’analyse, compte tenu du volume et de la diversité des contenus textuels produits sur une période suffisamment longue.

dimanche 25 mars 2012

Les communiqués de l’AFP et de l’APM sur le Protelos de Servier : des choix de rédaction bien étranges.


Les communiqués de l’AFP et de l’APM sur le Protelos de Servier : des choix de rédaction bien étranges.

L’affaire du Mediator est décidément riche d’enseignement ; nous nous étions fixé pour objectif le traitement comparatif des affaires (DSK, Bettencourt, Karachi ….) mais celles-ci ne génèrent plus un volume de contenu suffisant pour permettre des comparaisons pertinentes ; la campagne présidentielle emplit l’espace médiatique et sature les réseaux sociaux, le drame de Toulouse et de Montauban a seul pu mobiliser les médias et ouvrir une brèche en provoquant une suspension de la campagne. Seul, pas tout à fait ! L’affaire Servier demeure la seule affaire qui mobilise avec une constance remarquable le Web et les médias. Certes, l’imminence du premier procès, juste après l’élection, l’ampleur du scandale et ses profondes répercussions sur le système de Santé, expliquent pour partie la mobilisation observée, mais d’autres éléments semblent manifestement être à l’œuvre.
Le traitement de cette affaire par les médias est à lui seul révélateur du jeu des acteurs, qu’il soit transparent ou masqué. Nous avons donc choisi de lui consacrer encore quelques papiers.
En l’espèce, le dernier rebondissement de cette affaire concerne le Protelos, un autre médicament commercialisé par Servier (pour les problèmes d’ostéoporose). Dans le climat de suspicion généralisée entourant les pratiques des Laboratoires Servier, ce dernier a fait l’objet d’une attaque en règle de la part des pouvoirs publics.
Les derniers rebondissements de l’affaire du Protelos illustrent parfaitement les questions que pose la restitution des faits par les médias, et au-delà, interroge le statut de la vérité journalistique.
Sauf à être un acteur particulièrement informé du sujet, ou comme nous-mêmes (et sans doute quelques autres !) à disposer d’un outil performant d’analyse sémantique (encore en cours de conception, je vous l’accorde), la compréhension des enjeux qui traverse certains messages est nécessairement tronquée, voire biaisée.
Les rapprochements thématiques effectués par notre logiciel sur les articles concernant le Protelos de Servier, ces 10 derniers jours, faisaient apparaître un écart singulier entre le communiqué de l’Agence Européenne du Médicament (EMA) et les communiqués de l’AFP et de l’APM qui en rendaient compte et qui ont ensuite été massivement repris par les médias et sur les réseaux sociaux.

Une traduction fidèle mais « orientée »

Le communiqué de l’EMA rend ses conclusions sur le rapport bénéfice / risque du Protelos dont il était chargé de la réévaluation. Selon les termes du titre du communiqué, il confirme un rapport bénéfice / risque positif, mais recommande de nouvelles contre indications :
« L’EMA (Agence Européenne des Médicaments) confirme le rapport Bénéfice / Risque positif du Protelos / Osseor, mais recommande de nouvelles contre-indications et une révision des avertissements de prescription. »
Curieusement, le communiqué de l’AFP titre « Nouvelles contre-indications pour le Protelos » et celui de l’APM « Le CMUH (comité des médicaments à usage humain de l’EMA) recommande une restriction des indications de l’anti-ostéoporotique Protelos »

Si en soi, l’information est parfaitement exacte, il est par contre évident que ces titres sont particulièrement sélectifs et focalisent le message exclusivement sur le renforcement des contre-indications, en « omettant » de signaler l’information principale : la confirmation par l’EMA d’un rapport bénéfice / risque positif du Protelos.
Au-delà des titres, la hiérarchisation des informations dans les communiqués accentue encore la différence avec le communiqué original de l’EMA. Ainsi, l’AFP développe le sous-titre « L’agence européenne du médicament déconseille l’utilisation de cet anti-ostéoporose des laboratoires Servier aux personnes immobilisées ou souffrant de troubles thrombo-emboliques veineux »

Ces communiqués d’agence de presse ont bien sûr été largement rediffusés par les médias « mainstream » et sur les réseaux sociaux, avec une mise en exergue massive de cette information (les nouvelles contre-indications) au détriment de l’information initiale majeure, désormais secondarisée (l’évaluation positive du rapport bénéfice / risque du Protelos).

« D’un discours qui ne serait pas du semblant » : les raisons d’une réécriture du communiqué de l’EMA

Cette étrange interprétation du communiqué de l’EMA pose évidemment la question des raisons qui ont présidé à ce renversement de la hiérarchie des informations : mise en avant des contre-indications et minoration de l’évaluation positive du Protelos.
On pourrait raisonnablement penser que l’annonce de contre-indications renforcées a été jugée prioritaire, pour des raisons d’efficacité informative : alerte aux médecins et aux patients. C’est peu probable, puisque ces informations seront relayées officiellement par l’Afssaps.

Une autre hypothèse beaucoup plus crédible se dégage, mais aussi plus dérangeante, au regard des péripéties de l’affaire « Protelos » : la difficulté à reconnaître une décision qui contredit sur le fond, les positions prises officiellement par les autorités françaises, les « adversaires » déclarés de Servier et les médias : l’Afssaps, le Ministre de la Santé Xavier Bertrand, les socialistes Gérard Bapt, Jean-Marie Le Guen ….
En effet, la reconnaissance par l’EMA que « le Protelos demeure un traitement important de l’ostéoporose » ruine tout un pan de l’argumentation des parties adverses de Servier, qui s’étaient bien imprudemment risqués à affirmer que le scandale du Protelos préfigurait le scandale du Mediator.
On trouve paradoxalement la confirmation de cette hypothèse, dans un article d’Anne Jouan du Figaro, pourtant peu susceptible de sympathie pour Servier. Elle y décrit le projet des autorités politiques et de Santé de « Tuer le médicament ».


La reconnaissance par l’EMA que le Protelos est un médicament important dans le traitement de l’ostéoporose est donc un coup dur pour le Ministre et l’Afssaps qui avaient envoyé à tous les médecins une mise en garde pour le moins radicale, et on comprend que les communiqués essaient de passer sous silence les conséquences de cette décision.

C’est aussi un camouflet dont les conséquences sont désastreuses pour des adversaires radicaux de Servier, Gérard Bapt et Libération, dont un journaliste Yann Philippin et le directeur Nicolas Demorand, ont d’ailleurs été tous les 3 poursuivis pour diffamation suite à leurs articles sur le Protelos, dénonçant des méthodes « perverses » chez Servier et le fait que le laboratoire « avait bien érigé le mensonge et la manipulation en modèle économique ».


Les libellés des communiqués des agences de presse sont donc probablement orientés pour passer sous silence ces éléments très gênants pour un certain nombre de protagonistes de l’affaire, dont les médias. Il est d’ailleurs intéressant de relire les articles sur le Protelos des grands journaux comme Le Figaro, Libération, Le Monde, Le nouvel Observateur à l’aune de cette décision ….. La manipulation de l’information est évidente, et l’on ne peut que s’interroger sur les liens d’intérêt entre des acteurs si différents que Xavier Bertrand, Gérard Bapt, Libération, Le Figaro, l’AFP et l’APM.
En septembre 2011, Libération, s’appuyant sur un rapport de l’Afssaps, développe des articles particulièrement à charge sur Servier et les pratiques en vigueur dans ses laboratoires, allant même jusqu’à parler de « poisons » pour qualifier ses médicaments et de « système de dissimulation »



Le Monde, reprenant ces informations, suggère des similitudes avec l’affaire du Mediator et pointe l’imminence d’un nouveau scandale : « Comme pour le Mediator, Servier aurait falsifié des documents relatifs à un autre médicament, le Protelos, qui serait, là encore, plus dangereux que ce que le laboratoire laisse entendre » et signale 2 morts d’un « syndrome d’hypersensibilité médicamenteuse (syndrome DRESS) liées apparemment au Protelos.

Le Nouvel Observateur titre, quant à lui « Protelos, de nouveaux morts sur ordonnances » et rappelle, dans un article signé par Anne Crignon, les accusations de dissimulation révélées par Libération, l’alerte lancée par la revue Prescrire « 884 effets indésirables, dont 199 graves et la mort de 8 patients » pour conclure en citant un spécialiste de pharmaco vigilance, que « tous les médicaments (de Servier) étaient dangereux »

On n’aurait pas fini dans la citation de tous les articles ayant condamné Servier sur cette affaire du Protelos, en dehors de toute confirmation judiciaire et avec une véhémence qui confine à la malveillance pilotée plutôt qu’à la mission d’information.
Au-delà, c’est l’indépendance et l’objectivité des agences de presse et des journalistes qui posent à tout le moins question.

Le coup de pied de l’âne : Protelos serait le premier médicament efficace contre l’arthrose

Last but not Least, les derniers communiqués parus cette semaine sur le Protelos, font état d’une efficacité reconnue du médicament sur l’arthrose, présentés au second IOF-ESCEO Pre-clinical Symposium des 23 et 24 mars à Bordeaux.

Nul doute que cette communication gêne encore plus les adversaires de Servier qui tablaient sur une affaire confirmant la culpabilité de Servier sur l’ensemble de ses pratiques et nourrissant le dossier à charge dans l’affaire du Mediator. On remarquera que la plupart des articles parus sur ces nouvelles performances du médicament sont en anglais … les medias français peinent à relayer une information qui contredit par trop ce qu’ils ont pu écrire précédemment !

L’analyse des discours médiatiques : une nécessité démocratique

« Le diable se cache dans les détails » et ce cas de manipulation adroite de l’information, rend compte des subtilités de la manipulation de l’opinion, délibérée ou non, par un système médiatique qui, contrairement aux idées reçues, a une certaine mémoire, celle de ses erreurs ou plutôt de ses « petits arrangements entre amis » qu’elle s’emploie laborieusement à faire oublier. Les analyses de fond diachroniques et synchroniques sur le traitement médiatique d’une affaire, ont cette vertu (du moins nous l’espérons) de donner à l’opinion (nos lecteurs) une perspective critique et une mémoire, en regard « la société du spectacle » telle que la théorisait Debord ou Bourdieu et Baudrillard.
Elles rendent compte du peu de crédibilité de l’information médiatique, et du regard distancié et critique qu’il s’agit de porter sur les informations qu’elle délivre. Elles révèlent aussi les « confluences » d’intérêt pour le moins préoccupantes dans une démocratie, entre la presse et certains acteurs politiques et économiques. Elles interrogent sur le fond le statut de l’information et les mécanismes subtils d’une manipulation qui peut s’opérer sans nécessairement reposer sur des contre-vérités.
Apparemment la bataille contre Servier n’est pas gagnée et nous seront attentifs aux développements de cette passionnante affaire érigée en cas d’école de la propagande moderne. Un autre médicament des laboratoires Servier a été pareillement mis en accusation, le Vastarel, et nous attendons les décisions qui seront prises au niveau européen, manifestement plus objectif dans cette affaire que la France, et le traitement médiatique qui en sera fait, pour vous en informer.